Sommaire
Né le 6 et le 20 avril 1921 !
La plupart des textes encadrés de cette page sont extraits d’un témoignage de Serge Smulevic, qu’il m’a confié en mai 2002. Ils ont été complétés par d’autres récits, parfois je renvoie vers une autre page où ce récit est plus détaillé.
Je suis né le 6 et le 20 avril 1921 ! En réalité le 6, mais mon père, tellement heureux d’avoir un fils, a bu plus que de raison et a oublié d’aller me déclarer. Il ne s’en est souvenu que le 20 avril et a réparé son oubli ce jour-là.
Je suis né à Varsovie n°6, rue Marjanska.
Nous sommes arrivés en France en 1923. Mon grand père paternel enseignait le Talmud et l’hébreu. Mon grand père maternel était rabbin à Varsovie. Des milieux très modestes et beaucoup d’enfants des deux côtés : 11 du côté de mon père et 10 du côté maternel.
Forbach, puis Thionville et Strasbourg
Mes parents avaient ouvert un commerce de chemiserie, d’abord à Petite-Rosselle, près de Forbach, puis ils se sont fixés à Thionville en 1925 où ils sont restés jusqu’en 1963, puis Nice et enfin à Belfort en 1979 où ils sont décédés en 1982 et 1983.
J’ai fait mes études secondaires au Lycée de Thionville, puis l’Ecole des Beaux-Arts à Strasbourg de 1935 à 1939, dont je suis diplômé.
Dans la Résistance
Entré dans la résistance dans les FTP à Grenoble, en 1942, j’ai été envoyé à Nice pour entrer en contact avec un responsable qui s’occupait d’enfants cachés et leur fournir des faux papiers. Je fabriquais (forcément) ces faux-papiers moi-même, et disposais à cet effet d’une machine à polycopier que la police a trouvé chez moi après que j’aie été dénoncé.
Serge Smulevic fait un récit de cette période de débâcle, puis de résistance dans une page plus détaillée : « Smulevic Serge, alias Dupayard ».
GROUPEMENT NATIONAL DES RÉFRACTAIRES ET MAQUISARDS Section Moselle Thionville | Thionville, le 27 Déc. 1950 | |
ATTESTATION Je soussigné JEANPIERRE Jules Louis, Alias Capitaine DUGUET , du Corps Franc M.U.R. à Grenoble (Isère) actuellement Inspecteur Principal, Officier de Police Judiciaire de la Sûreté Nationale aux Renseignements Généraux de Thionville, Président Départemental du Groupement National des REFRACTAIRES & MAQUISARDS de la Moselle ___________certifie___________ avoir connu Monsieur SMULEVIC Serge, alias DUPAYARD Georges, de Février 1943 à Juillet de cette même année, alors qu’il était réfugié à Grenoble, et travaillait dans les rangs de la Résistance, sous les ordres de DUVAL, du mouvement F.T.P.F. section de Seyssinet (Isère). Je certifie en outre que le comportement de DUPAYARD était correct sous tous les rapports et qu’il se comportait comme un vrai et loyal membre de la Résistance, en faveur de laquelle il s’est dévoué sans compter. | ||
Le Président Départemental du G.N.R.M. MR JEANPIERRE. Signature et Cachet du Groupement National des réfractaires et Maquisards Délégué Départemental Moselle | ||
Vu pour la légalisation de la signature de Mr JEANPIERRE Jules. Thionville le 28 DEC. 1950. Pour le Maire L’adjoint délégué Signature illisible et Cachet de la Mairie de Thionville |
Déportations dans la famille
Ont été déportés deux frères de mon père, avec femmes et enfants et une sœur avec son mari. Tous décédés en déportation.
Du côté de ma mère : assasinés au ghetto de Varsovie, mes grands parents maternels. Déportés : deux frères de ma mère et deux sœurs de ma mère avec maris et enfants. Tous décédés en déportation,au total 17 personnes.
J’avais un oncle à Paris, le frère de mon père, qui, ayant entendu parler d’Auschwitz et certain d’y être déporté, envoyait tous les mois des colis à Auschwitz, à son nom. Il a été déporté, au début de 1943, et il est mort en déportation.
Un dernier appel au secours
Le 28 juin 1941, la grand-mère de Serge Smulevic adresse cette carte postale, depuis le Ghetto de Varsovie. Elle supplie qu’on lui envoie de l’aide.
Traduction
CARTE POSTALE
M. Lawende
ul Marjawska
n°6 Warszawa
à Madame
Certner-Flindt
75 rue Turbigot
Paris 3 e
Chère Madame Flindt. Vous avez certainement reçu ma carte disant que j’ai reçu les paquets, et que je vous demandais de m’en envoyer plus souvent car ils sont petits. J’ai demandé à Ewka qu’elle voie Eizenberg et qu’elle me donne son adresse, de sorte que Ida reçoive une lettre de Ewka disant qu’elle lui est venue en aide, comme cela elle sera bonne aussi pour moi, car ça va très mal chez moi. Qu’elle écrive tout de suite, dès qu’elle l’aura vu, et moi j’écrirai immédiatement à Ida. Chère Madame, qu’Ewka ou Frania m’envoient des chaussures, pas neuves, nous faisons la même taille. Elles peuvent les envoyer séparément, comme échantillon sans valeur, à mon adresse, et à l’adresse Rawet Sienna 61. Eisenberg Aron Paris 20e 165 rue Pelleport. Chère Mme Anuri, mes enfants ne peuvent m’aider en m’envoyant souvent des colis. Je vous prie de voir les Honigbaum, vous les connaissez certainement, ils habitent à Paris. Qu’ils participent aussi à m’aider. Je vous donne l’adresse de sa soeur : M. Pragier 8 rue tesson Paris 10. Chère madame, je vous salue et vous embrasse de tout coeur ainsi que mes enfants. M . Lawende
C’est la dernière carte envoyée en France. Quelques semaines plus tard, elle est déportée.
Dénoncé
J’ai été arrêté à Nice, le 24 août 1943, sur dénonciation de ma logeuse. J’avais remarqué deux jours auparavant que l’on avait fouillé ma chambre. Bref ce matin-là, ma logeuse introduisit deux inspecteurs de la police de Nice dans ma chambre. Ils m’emmenèrent au commissariat de la rue Gioffredo, où on eût vite fait de constater que mes papiers étaient faux. Incarcéré à la prison de Nice, sous l’inculpation de fabrication de fausses pièces d’identité et usage de faux, je restai en cellule, où nous étions à trois, jusqu’au 1er décembre 1943, date à laquelle tous les Juifs qui se trouvaient dans cette prison furent livrés à la Gestapo.
Nous avons passé une nuit dans un hôtel près de la gare, et le soir du 3 décembre, nous fûmes embarqués, sous bonne escorte dans un train qui arriva à Paris le lendemain, puis on nous déposa au camp de Drancy.
Dans le train qui le conduit à Drancy, il est gardé par des S.S. et fait là une étrange rencontre, qu’il a raconté dans un récit intitulé « Un bon ami ».
Drancy : « le petit couteau » et Aloïs Brunner
J’ai retrouvé là de nombreuses connaissances, dont le Dr Hofstein qui était de Thionville comme moi. Le 16 décembre 1943, nous fûmes réunis dans un autre endroit du camp. Nous étions environ 800 personnes, hommes, femmes, enfants, vieillards, malades, sans distinction, et nous avons passé cette nuit-là, tous mélangés, à notre gré. Nous savions que le départ pour l’inconnu était pour le lendemain. Pour « Pitchipoï » comme on disait alors. Effectivement, nous avons été amenés par autobus, à la gare de Bobigny, un peu avant midi, et embarqués pèle-mêle dans des wagons à bestiaux, après avoir dû entendre un discours d’Aloïs Brunner, le chef du camp de Drancy, qui nous menaçait du pire si on devait trouver des couteaux dans nos bagages. Après des fouilles aléatoires, c’est effectivement ce qui arriva chez mon voisin et ami, Georges Sandler.
En effet, dans un texte intitulé « Le petit couteau « , Serge Smulevic a raconté comment Aloïs Brünner, le S.S. commandant le camp de Drancy, au moment de « l’embarquement » sur le quai de la gare de Bobigny, le 17 décembre 1943, avait coupé l’oreille de son ami Georges Sandler, qui se trouvait à côté de lui, parce qu’il avait trouvé un petit couteau à éplucher les pommes de terre dans son sac.
Trois jours d’enfer
Les trois jours que nous avons passé dans ce train restent inoubliables. On s’installa d’abord tant bien que mal, les uns assis, les autres couchés d’autres debout, mais très vite et dès que la nuit tomba, tout dégénéra. Deux ou trois seaux pour les besoins d’environ 80 à 90 personnes, les cris des enfants, les pleurs des vieillards, les gémissements des malades, ce furent trois jours et trois nuits de folie totale. Il y eut quelques morts, le
troisième jour, et vers 22 h., si mes souvenirs sont bons, nous sommes arrivés sur la rampe d’Auschwitz.
La sélection
Là,comme la plupart des récits l’ont commenté, ce fut de la folie.
Les hurlements des SS, accompagnés par les hurlements de leurs chiens qu’ils excitaient, les coups distribués si l’on ne descendait pas assez vite des wagons, les cris d’épouvante des femmes que l’on séparait déjà de leurs enfants, tout cela sous l’éclairage sinistre des projecteurs dans la brume, et la neige fondue sous nos pas hésitants, la sélection qui se faisait déjà par âge et par sexe, tout cela relevait de la folie pure. J’avais remarqué sur la plaque d’une VW, les lettres AU, et je sus tout de suite que nous étions à Auschwitz. Puis un groupe d’environ 200 hommes, entre 18 et 45 ans sont embarqués dans des camions et dirigés sur Monowitz (Auschwitz III ).
Rasés, tatoués…
Là on nous attendait : on se serait cru dans un cirque – des hommes en pyjamas rayés, bleu et blanc dont l’un, le Lagerältester, le chef du camp, Paul Kosmara, un géant blond vêtu, lui, d’une veste noire et armé d’un gourdin, frappait dans tous les sens en essayant de nous canaliser vers une immense salle de douches où nous nous sommes déshabillés. D’autres déportés, des anciens bien entendu, nous ont rasé totalement et partout, puis désinfectés et enfin la douche bienfaisante. Puis après, nous sommes dirigés vers une énorme tente, et sommes mis en quarantaine. Le lendemain, séance de tatouage. Un numéro de 6 chiffres (pour nous c’est la série 169000), numéros qui remplaceront dorénavant notre identité et par lesquels on nous appellera. Nous sommes répartis dans des « blocks » en bois, puis chacun d’après sa spécialité,ou plus ou moins,est affecté dans un kommando.
Auschwitz-Monowitz
Serge Smulevic a été déporté de Drancy à Auschwitz où il fut sélectionné pour le travail. Il travailla dans le camp de Monowitz, dans l’usine de la Buna, dans le bâtiment même où se trouvait Primo Levi, dans le kommando des chimistes : Bau n° AZ 799.
Mais il n’y a pas beaucoup de possibilités, la plupart des commandos, dirigés par des Kapos qu’on identifie par un brassard jaune, vont travailler à quelques km du camp, à la Buna, vaste complexe industriel dans lequel travaillent des dizaines de milliers de détenus, affectés à des travaux plus durs les uns que les autres. Transport de sacs de ciment, chargement et transport de wagonnets remplis de terre ou d’énormes blocs de béton, transport et pose de câbles très très lourds, travaux de maçonnerie, bref de quoi anéantir en très peu de temps des hommes sous-alimentés et démoralisés. Très peu de kommandos où l’on peut travailler plus ou moins à l’abri, comme le commando des peintres, des chimistes ou des menuisiers. J’ai la chance, les premières semaines, parce que je sors de l’école des Beaux-Arts, de pouvoir peindre des chiffres sur des citernes immenses… afin de pouvoir les identifier, mais très vite, je suis affecté à un petit kommando, à effectuer des travaux de terrassement. Le Kapo est un Autrichien qui s’appelle Müttel, et il n’est pas trop méchant. Je suis quand même vite fatigué après des journées de 10 heures de travail avec pour toute nourriture : un bloc de pain noir d’environ 300 grammes, un carré de 10 grammes de margarine, puis à midi 1 litre de soupe de rutabagas, très claire, et le soir après le retour au camp, 1 litre d’une soupe un peu plus épaisse.
Une carte postale envoyée d’Auschwitz
Sur ordre des S.S., Serge Smulevic envoya la carte postale suivante à sa famille restée en France. Il prit bien garde de ne pas envoyer la carte à ses parents dont il aurait ainsi livré l’adresse. Les Schmitt étaient des amis sûrs et transmirent la carte aux parents de Serge.
Traduction
Carte Postale
Expéditeur :
Serge Szmulewicz
Camp de travail
Monowitz S.O.
Bâtiment 10
Destinataire :
Famille Schmitt
97, Boulevard des Romains
Vichy
(France)
Monowitz, le 25 – 1 – 44
Chers amis,
Je vous informe que je suis en bonne santé et que je travaille ici dans ce camp. J’ai retrouvé pas mal d’amis ici. Tout va bien en ce qui concerne ma santé et mon moral. Espère recevoir une réponse, votre ami,
Serge Szmulewicz
La survie grâce au dessin
Serge réussit à survivre grâce à ses talents de dessinateur : il fait le portrait des détenus « privilégiés », les kapos et leurs aides, en échange de nourriture. Il a raconté cela dans un récit : « Comment j’ai pu survivre à Auschwitz-Monowitz ».
Il évoque aussi, en artiste, les couleurs d’Auschwitz, loin d’une unique grisaille que l’on imagine habituellement : voir « Les coquelicots d’Auschwitz ».
Le professeur Robert Waitz
Puis je tombe malade après environ deux mois ; je suis « hospitalisé » façon de parler. L’aspirine est vendue au marché noir à prix d’or. Mais je retrouve, quel bonheur le Professeur Robert Waitz, de la faculté de médecine de Strasbourg, à la tête du Krankenbau (Hôpital) mais sous les ordres du grand chef du Krankenbau Stefan Budzascek, un étudiant en médecine polonais, méchant et sadique. Le Pr Waitz était le médecin de ma mère, et me connaissait depuis tout petit. Il me chargea vite de certains travaux (dessiner des instruments divers dont je ne connaissais pas l’usage, transport de certaines petites pièces métalliques destinées à la fabrication d’un poste de radio etc. etc.). Je fus son aide pour des tas de petits travaux destinés à des travaux de résistance, avant de devenir, une fois libéré, son adjoint dans le comité qui fut formé en 1955 pour la répartition d’indemnités provisoires qui nous furent versées par la I.G.
Farbenindustrie.
À propos du professeur Robert Waitz, voir aussi dans ce site, son témoignage sur la sélection à l’entrée d’Auschwitz.
Personnalités
Les mois passèrent de plus en plus durs. Il y avait dans notre camp, en dehors de Primo Lévi, le Professeur grec Koenka, qui avait été le médecin du roi Georges V, le champion de natation Nakache, le champion de boxe Young Perez, l’arbitre international de foot Braun. Mais aussi dans le même convoi que le nôtre André Baur , dirigeant de l’UGIF, et quelques mois plus tard arriva Israélowicz, qui avait également été parmi les « dignitaires » de l’UGIF, ancien ténor de l’Opéra de Vienne sous le nom de Léo Ilkar. Il fut livré par les SS à ses anciennes victimes au camp de Monowitz. Les SS laissaient souvent les déportés régler leurs comptes…
- Voir le récit détaillé de la triste fin de Léo Israélowicz
J’ai vu disparaître un à un mes meilleurs amis et connaissances, morts de faim, morts d’épuisement, morts de froid, morts moralement.
Dans le camp, vers la fin, Serge constate la présence d’enfants : les enfants juifs hongrois déportés durant le printemps 1944.
Marches de la mort
Puis les Russes approchèrent de Cracovie. On entendait tonner leurs canons au lointain et les Allemands décidèrent d’évacuer le camp. Nous sommes partis à pied le 18 janvier 1945. Ce furent « les marches de la mort » célèbres par le nombre de victimes, tombées sur les routes et achevées d’une balle de fusil dans la tête.
J’étais avec l’un de mes meilleurs amis, Paul Chrzanowski de Paris (de Belleville) son père, sa jeune mère, ses deux sœurs et son frère tous les cinq morts dans les chambres à gaz. Paul et moi, nous avons été séparés à Flossenburg, et je n’entendis plus parler de lui, jusqu’en 1958.
[Voir un récit plus précis de l’arrivée à Flossenburg . ]
Puis de Flossenburg, nous sommes partis en kommando travailler à Regensburg, d’où nous sommes repartis pour une nouvelle marche de la mort, le 22 avril 1945, en direction de Dachau cette fois-ci.
La fin de notre déportation
Quand nous avons quitté le camp de concentration de Monowitz (Auschwitz III), le 18 janvier 1945, vers 18 heures, on nous a alignés par cinq, nous étions prés de 9.000, rien que pour ce camp-là, et nous étions encadrés par des centaines de S.S. Beaucoup de malades parmi nous, qui ne voulaient pas rester abandonnés dans le camp, de peur d’être exécutés. Ils n’ont pas marché très longtemps… Il neigeait et avec nos grosses chaussures en bois, avec des vieux chiffons à l’intérieur en guise de chaussettes, nous avancions péniblementdans la gadoue.
Serge Smulevic, matricule 169922 Auschwitz,
Chaque fois que l’un des nôtres tombait de fatigue, il avait droit a une balle dans la tête. Les SS, pressés ne visaient même plus la nuque. Il y avait du sang et des éclaboussures de cervelle partout Après cinq heures de marche environ, nous sommes arrivés à Gleiwitz, où nous avons pu souffler quelques heures, en attendant l’arrivée des trains qui devaient nous ramener en Allemagne.
Et c’est ainsi que, tantôt dans des wagons à bestiaux, sans la moindre nourriture, sans une goutte d’eau (et la soif est bien plus terrible que la faim, même en hiver) et tantôt sur les routes, qu’exténués nous nous traînions de camp en camp. Je me souviens, qu’un jour, traversant la Tchécoslovaquie dans des wagons découverts, et le train s’étant arrêté sous un pont, des passants nous ont jeté des pains, et immédiatement les S.S. les ont mitraillés.
Et les SS nous éliminaient systématiquement, dés le moindre signede fatigue. Et ces transports, et ces longues marches, les fameuses « marches de la mort » ont duré des mois et des mois, et c’est ainsi que des dizaines de milliers de nos frères sont morts aussi bien dans les wagons que sur les routes. […]
Il pleuvait des morts sur nos routes…
15 avril 1999
Libération
Et c’est à Dachau que nous avons été libérés par les troupes américaines, le 29 avril 1945. J’étais malade, pieds et mains partiellement gelés, début de typhus et je pesais encore 38 kilos. J’ai dû rester dans un hôpital d’évacuation militaire, le 401e HEM jusqu’au 29 juin 1945, date à laquelle j’ai pu rentrer en France après avoir repris 29 kilos.
Serge Smulevic a retrouvé la liberté. Il s’en souvient avec émotion dans un texte récent : le « réveil des survivants ».
Serge Smulevic évoque les lendemains de sa libération dans un autre texte : « Dachau, 30 avril 1945« .
Des dessins pour témoigner
De retour en France, il commence à dessiner, pour témoigner. ( Voir sur ce site, les dessins ). Certains de ces dessins ont été produits au cours du procès de I.G. Farben, lors du procès de Nuremberg. (Voir la page Lettre de Nuremberg )
Cette passion du dessin continuera de l’habiter. Serge Smulevic a ainsi suivi le procès Papon (voir ci-contre).
Après la guerre
Mon premier voyage à mon retour de déportation a été pour Nice, mais plus aucune trace de ma logeuse, ni des deux inspecteurs qui étaient venus m’arrêter. J’ai encore fait faire des recherches par un de mes très bons amis, commissaire retraité au Cannet Rocheville, mais c’est à croire qu’ils se sont volatilisés.
Puis n’ayant pas trouvé de travail en France, je suis parti me fixer à Bruxelles, en 1947, car j’y avais de la famille du côté paternel, et j’y ai trouvé une situation très vite, d’abord comme chef de publicité à l’agence Havas et par la suite Directeur des services de publicité de la Société Philips où j’ai terminé ma carrière.
Je me suis marié à Bruxelles et ma femme et nos enfants sommes revenus en France en 1979, où nous vivons depuis cette date. Ma fille cadette est peintre [voir quatre oeuvres dans ce site] et a été responsable des programmes à Radio-France pendant 19 ans.
Serge est assez amer sur l’accueil qu’on lui fit à son retour :
J’entre souvent dans de terribles colères, parfois pour des choses réellement insignifiantes, et je me rends compte aussi que je suis souvent injuste avec mon entourage. Pourtant, le sachant, je fais tout mon possible pour me dominer, mais c’est difficile. Je n’ai pourtant jamais été colérique dans ma jeunesse, et surtout pas avant d’avoir été déporté. Mais rien que le fait de ces armées de psy qu’on envoie pour aider des personnes ayant subi un choc nerveux (détournement d’avion ou autre faits similaires) me met hors de moi, parce que fatalement je fais le rapprochement : « qu’a-t-on fait pour nous, pour nous aider à notre retour des camps ? : une prime de rapatriement de 2.500 F., un bon pour une paire de godasses (à semelles en bois), un bon pour 2OO g. de tabac, et ouste, rentre chez toi ! » et contents d’être débarrassés de nous dans les centres de rapatriement (j’en ai connu trois : Strasbourg-Dijon-Grenoble).
Il raconte aussi combien il fut peu écouté, même dans sa propre famille. Il entendit ces remarques insupportables : « Tu ne crois pas que tu en rajoutes un peu ? » ou encore « Tu sais, nous aussi, on a été bien malheureux, … en Suisse » !
« Seule ma petite sœur, âgée de 14 ans en 1945, avait l’air de me croire. »
Un bilan familial terrible
Au sortir de la guerre, le bilan familial de la famille de Serge Smulevic est effrayant. Sont morts victimes de la Shoah :
Mes deux grands parents maternels à Varsovie, au ghetto.Le frère de mon grand-père maternel
Leurs deux fils Chaïm et Salomon (mes deux oncles) et deux de leurs filles, Saba et Rutka, (mes tantes) tous au ghetto de Varsovie.Deux oncles (frères de mon père) , l’un à Paris (celui qui s’envoyait des colis à Auschwitz) et un autre à Bruxelles déporté de Malines.Une tante (soeur de mon père) et son mari, Jacques Landsberg, déportés de Bruxelles (la plus jeune soeur de mon père, je crois)
Une autre tante (soeur de ma mère), Natacha, déportée de Hollande en 1944, ainsi que deux autres soeurs de ma mère : Saba, une violoniste, et Frania qui avait une petite fille, AnnaEnsuite ce sont trois cousins germains, dans la famille Honigbaum, côté maternelEt trois autres cousins, (un couple et leur fille) côté paternel, déportés de Bruxelles, famille Epstein.Serge Smulevic, 2002, par e-mail
Quelques victimes de la Shoah,
dans ma famille polonaise
Photos fournies par Serge Smulevic
Des poèmes
Serge Smulevic a aussi écrit un certain nombre de poèmes, surtout à la fin des années 90 (Voir page des poèmes ).
Je retiendrai ces phrases terribles :
Mais Serge Smulevic a eu aussi une vie très active. Il travaille comme caricaturiste pour plusieurs quotidiens et illustrés (Le Soir, Le Soir Illustré, La Libre Belgique, Le Pourquoi-Pas). Il dessine pour la publicité, fait des pochettes de disques pour Pathé-Marconi et La Voix de son Maître, est passionné de jazz, participe à des rallyes…
Serge Smulevic a continué de témoigner de témoigner, jusqu’à sa mort le 15 février 2010 à l’âge de 88 ans. Il a ainsi participé au recueil de témoignages initié par Steven Spielberg, en 1997.
Retour au sommaire : Serge dessine et se souvient