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Un camp particulièrement sinistre

Récit par Serge Smulevic, rescapé d’Auschwitz.
Il vient d’Auschwitz, au moment des « marches de la mort », en février 1945.

  • Témoignage
  • Récit

Arrivée sinistre

      Lorsque nous sommes arrivés  à  Flossenburg, au mois de février 1945, rien que la vue de l’entrée de ce camp nous fit très peur. Niché sur le flanc d’une montagne, ce camp était entouré d’immenses sapins sur lesquels nous vîmes avec horreur plusieurs pendus en train de pourrir. Comme si, à Noël, “ils” les avaient installés là en guise de décorations… Ce camp était surpeuplé au moment de notre arrivée et il y avait très peu de S.S.

Un camp particulièrement sinistre — Le camp de Flossenburg
Le camp de Flossenburg

Marqués sur le front !

     Une fois installés on nous a fait défiler devant une table où étaient assis trois hommes vêtus d’une blouse blanche. Ils nous ont  fait déshabiller, et là l’un des trois nous a peint des chiffres sur le front avec un pinceau trempé dans de l’encre de Chine. Puis on nous a distribué de la soupe. Nous nous sommes regardés, ébahis. Jamais on n’avait vu faire cela.
     En se regardant les uns les autres, nous avons constaté les marquages suivants : 1/10  –  5/10  –  10/10. Bien entendu aucune explication ne nous a été donnée et nous ignorions absolument le sens de ce nouveau marquage (je veux parler du tatouage sur le bras fait à notre arrivée à Auschwitz ). La seule chose que nous avons remarquée le lendemain, c’est qu’il n’y avait plus de camarades marqués 10/10 parmi nous. Et nous en avons déduit que c’étaient les plus maigres, pratiquement des “musulmans” qui avaient disparu. Le rapprochement n’avait pas été difficile à faire. Cette fois-ci on pouvait réellement dire qu’on nous avait  vraiment traité comme du bétail !
     Marqués sur le front !  Je n’ai jamais entendu dire qu’une telle pratique avait eu lieu dans un autre camp.

Un pull-over ?

     C’est dans ce camp que mon ami Paul Chrzanowski, me voyant trembler de froid, m’a dit : “je vais essayer de te trouver un pull-over”. Je ne l’ai plus revu jusqu’en 1958.
     Comme si à cette époque on pouvait trouver un pull-over dans un camp… Puis quelques instants plus tard on nous a réunis, et environ trois cents d’entre nous ont été embarqués en train en direction de Regensburg.  Je cherchais en vain mon ami “Petit Paul”. Disparu.
     A proximité de Regensburg,  les Allemands édifièrent un petit camp dans une usine désaffectée que nous avons nous-mêmes entourée de barbelés. Nous allions y “vivre” jusqu’à notre nouvelle marche de la mort en direction de Dachau, vers la fin du mois d’avril.

Serge Smulevic  – mauvais souvenirs, juillet 2002.