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André Baur, vice-président de l’U.G.I.F., la tragédie de la collaboration de Juifs avec le fascisme

La tragédie de la collaboration de juifs avec le fascisme

Pétain crée l’U.G.I.F.

LOI DU 29 NOVEMBRE 1941 (JO DU 2-12-1941) instituant une Union générale des Israélites de France

Nous Maréchal de France, Chef de l’Etat français le Conseil des ministres entendu décrétons :

Article premier. – Il est institué auprès du Commissariat aux Questions juives une Union générale des Israélites de France. Cette Union a pour objet d’assurer la représentation des Juifs auprès des Pouvoirs publics notamment pour les questions d’assistance, de prévoyance et de reclassement social. Elle remplit les tâches qui lui sont confiées dans ce domaine par le gouvernement. L’Union générale des Israélites de France est un établissement public autonome doté de la personnalité civile. Elle est représentée en justice comme dans les actes de la vie civile par son président, qui peut déléguer à tel mandataire de son choix tout ou partie de ses pouvoirs.

Article 2. – Tous les Juifs domiciliés ou résidant en France sont obligatoirement affiliés à l’Union générale des Israélites de France. Toutes les associations juives sont dissoutes à l’exception des associations cultuelles israélites légalement constituées. Les biens des associations juives dissoutes sont dévolus à l’Union générale des Israélites de France. Les conditions de transfert de ces biens seront fixées par décret rendu sur le rapport du secrétaire d’Etat à l’Intérieur.

Article 3. – Les ressources de l’Union générale des Israélites de France sont constituées : 11, Par les sommes que le Commissariat général aux Questions juives prélève au profit de l’Union sur les fonds de solidarité juive institué par l’article 22 de la loi du 22 juillet 1941. 20 Par les ressources provenant des biens des associations juives dissoutes. 3′ Par des cotisations versées par les Juifs et dont le montant est fixé par un Conseil d’administration de l’Union d’après la situation de fortune des assujettis et selon un barème approuvé par le Commissaire général aux Questions juives.

Article 4. – L’Union générale des Israélites de France est administrée par un Conseil d’administration de dix-huit membres choisis parmi les Juifs de nationalité française, domiciliés ou résidant en France et désignés par le Commissaire général aux Questions juives.

Article 5. – Le Conseil d’administration est placé sous le contrôle du Commissaire général aux Questions juives. Les membres répondent devant lui de leur gestion. Les délibérations du Conseil d’administration peuvent être annulées par arrêté du Commissaire général aux Questions juives.

Article 6. – Les cotisations fixées par le Conseil d’administration de l’Union générale des Israélites de France sont recouvrées par états exécutoires comme il est prévu par l’article 2 du décret du 30 octobre 1935.

Article 7. – Tant que subsisteront les difficultés de communication résultant de l’occupation, le Conseil d’administration pourra être divisé, le cas échéant, en deux sections dont le siège sera fixé par le Commissaire général aux questions juives. Chaque section comprendra neuf membres et sera présidée l’une par le président et l’autre par le vice-président.

Article 8. – Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

Fait à Vichy, le 29 novembre 1941

Ph. PÉTAIN

Par le maréchal de France, chef de l’Etat français.

L’amiral de la flotte, ministre Le garde des Sceaux, ministre

vice-président du Conseil secrétaire d’Etat à la justice

AI. DARLAN Joseph BARTHÉLEMY

Le ministre, secrétaire d’Etat à Le ministre secrétaire d’Etat à

l’intérieur l’économie nationale et aux

Pierre PUCHEU finances Yves BOUTHILLIER

Des notables juifs nommés par Pétain

Le 9 janvier 1942, le décret nommant les membres du Conseil d’administration de l’UGIF paraît au Journal officiel de l’Etat français. Ceux qui avaient eu des scrupules à accepter sans discussion avaient été remplacés. Cela pour la zone sud car en zone nord les hommes étaient plus sûrs : la plupart d’entre eux venant du Comité de coordination des Œuvres de bienfaisance du Grand-Paris où ils avaient déjà fait leurs preuves. Il s’agissait de MM. André Baur, Georges Edinger, Fernand Musnik, Benjamin Weill-Hallé, Marcel Stora, qui seront rejoint par Mmes Juliette Stern et Lucienne Scheid-Haas, Alfred Morali et Albert Weill.

Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, L’U.G.I.F. 1941-1944,
Préface de Pierre Vidal-Naquet, EDI, 1980

L’UGIF et les enfants

Dans les archives de l’UGIF, les documents concernant les enfants sont assez rares, on y trouve surtout de sordides renseignements administratifs. Malgré tout, quelques notes de service sont assez significatives

 » Avis important

Nous constituons à l’Union générale des Israélites de France, un fichier central de tous les enfants juifs dont les parents ont été arrêtés ces jours-ci. Si ces enfants ont été recueillis par un organisme privé ou par des familles particulières et que vous en ayez connaissance, nous vous prions de bien vouloir les signaler immédiatement car il est déjà porté à notre connaissance que quelques enfants se sont trouvés égarés. Tout le service social fonctionne en permanence continuelle et, à cet effet, nous vous prions de bien vouloir établir avec nos services une liaison régulière… « 

(CDJC- XLVII, 27)

Cette information d’apparence anodine publiée dans le Bulletin de l’UGIF du 24 juillet 1942 (soit une semaine après la grande rafle des 16 et 17 juillet) est lourde de menaces car elle préfigure le rassemblement de ces  » enfants égarés « , dans des maisons où ils seront surveillés de près et où les nazis pourront venir les rafler facilement. Ce communiqué sera répété durant plusieurs semaines dans le Bulletin de l’UGIF.

La presse de la résistance juive dénonce l’UGIF

Extrait de Notre voix (zone sud). Organe du Rassemblement des Juifs contre le fascisme oppresseur.

Numéro du 15 février 1943.

REDOUBLONS D’EFFORTS POUR LES PETITS ENFANTS JUIFS TRAQUÉS

 » … Chaque jour nous apporte de nouvelles preuves de sympathie et de solidarité envers les petits malheureux que l’action des femmes parisiennes a sauvés de la déportation et de la mort. Outre les sommes importantes collectées à Nice, ces jours derniers, 25 familles françaises s’offrent à prendre chacune un enfant juif. Marseille, Nice, Grenoble suivent leur exemple. Voilà les beaux exemples de solidarité française et voilà la honte de l’Union générale des Israélites de France qui a livré 100 enfants aux agents de la Gestapo pour les assassiner. Leur crime sera impitoyablement châtié. Redoublons d’effort pour les petits enfants juifs traqués. Collectons l’argent et les vêtements pour eux. Trouvons-leur des marraines qui remplaceront la maman perdue. Faisons tout pour que le sourire reparaisse sur leur visage attristé… « 

Cité dans La Presse antiraciste sous l’occupation , 1950. Extrait de Notre voix. Organe du Rassemblement des Juifs contre le fascisme oppresseur.
Numéro du ler juin 1943.

L’UGIF, FILIALE DE LA GESTAPO

 »  A Lyon, un Juif a demandé un secours à l’UGIF or on a exigé qu’il présente sa carte d’identité. Comme elle ne portait pas le tampon  » juif « , l’UGIF refusa le secours. A Marseille, la Gestapo a exigé de l’UGIF la liste des Juifs assistés. Cette organisation a répondu qu’il n’y avait pas de liste mais que les personnes qu’elle aide allaient se présenter tel jour. Et quand les malheureux arrivèrent, la Gestapo était là pour les déporter. Nous avions déjà mis en garde contre les traîtres de l’UGIF quand ils avaient, à Paris, livré des enfants aux Boches. Les faits rapportés plus haut indiquent à tous les Juifs qu’ils doivent considérer l’UGIF comme une filiale de la Gestapo. Les traîtres seront démasqués. Leur châtiment se prépare. « 

Cité dans La Presse antiraciste sous l’occupation , 1950

Extrait de Notre voix. Organe du Rassemblement des Juifs contre le fascisme oppresseur.

Numéro du 20 juin 1943.

PAS UN SOU POUR LES TRAITRES DE L’UGIF!

 » L’entreprise de mouchardage et de spoliation créée par la Gestapo a besoin d’argent et, comble d’audace, elle impose une contribution à ses victimes dont les contributions volontaires sont insuffisantes et pour cause. L’UGIF ne se contente plus de la part que les Boches lui versent sur les spoliations qu’ils réalisent. Il lui faut davantage. Et cela soi-disant pour secourir les Juifs déshérités. D’abord, les Juifs n’auraient pas besoin de ces prétendus secours si on ne leur avait pas volé leurs biens et si on les laissait travailler librement. Et d’autre part, chacun sait comment l’UGIF secourt les malheureux. Comme à Paris où elle livre à la Gestapo, pour être déportés, les enfants qui lui avaient été confiés ; à Marseille, où les Juifs qui se présentent pour toucher un secours sont aussitôt embarqués par la Gestapo prévenue par cette organisation de traîtres ; à Lyon, où l’UGIF exige que la carte d’identité porte la mention  » juif « . La solidarité, les Juifs la pratiquent mais entre eux, à l’exclusion des traîtres qui veulent une fois de plus mériter le salaire que leur alloue leurs maîtres de Vichy et de Berlin en organisant un nouveau recensement des Juifs. Car c’est à cela que tend également la nouvelle contribution. En dehors des sommes qu’elle rapporterait elle permettrait aussi de connaître les nouvelles résidences et de mieux livrer les Juifs à leurs bourreaux.

BOYCOTTONS CE NOUVEAU RECENSEMENT DEGUISE. PAS UN SOU POUR L’UGIF…

(CDJC-CDLXXI, 41.)

La fin tragique d’un collaborateur : circonstances de la déportation d’André Baur

En ordonnant la création de l’UGIF, les nazis avaient un but bien précis : mettre sur pied une organisation qui contrôlerait la plus grande partie des Juifs des deux zones afin d’en rafler un maximum. Cette mission, l’UGIF l’a remplie et elle devient inutile, tout au moins dans la forme qu’elle a prise. Dès l’été de 1943, les nazis ont compris tout le parti que pouvaient prendre les mouvements de résistance, à l’insu des dirigeants de l’UGIF, au sein de cette administration pléthorique. Dès lors, la Gestapo va s’employer à faire tomber des têtes : au nord comme au sud. La première victime importante de cette purge sera André Baur, ancien dirigeant du Comité de coordination des Oeuvres de bienfaisance juives du Grand-Paris et présentement vice-président de l’UGIF pour la zone nord. Il est arrêté en même temps que Léo Israélowicz, chef du service de liaison de l’U.G.I.F. avec la Gestapo (Voir la page : « La triste fin de Léo Israélowicz « ). Le prétexte est futile mais est-il besoin de prétexte pour la Gestapo ? Le 21 juillet 1943, la répression frappe à la tête. Le compte rendu de la réunion du Conseil d’administration de l’UGIF nord du 27 juillet relate l’événement :

« … Mercredi 21 juillet, MM. Baur et Israélowicz ont été appelés au camp de Drancy. Ainsi que nous l’avons appris par la suite, il s’agissait de l’évasion de deux internés dont l’un est M. Ducas cousin de M. Baur et l’autre un M. Isruel. M. Israélowicz, à son retour, nous a avisés que M. Baur était retenu au camp comme otage d’un des deux internés évadés. Le SS Hauptsturmführer Brünner invitait l’UGIF à faire des enquêtes aux fins de retrouver les fugitifs. M. Israélowicz est en liberté provisoire. La famille de M. Baur et celle de M. Israélowicz seraient menacées de subir le même sort si dans un délai de huit jours les deux évadés ne se présentaient pas volontairement au camp… « 

(CDJC-CDX)

L’UGIF fera procéder immédiatement à des recherches par ses services. Dès le lendemain, trois membres du Conseil d’administration de l’UGIF zone nord partiront en mission. Marcel Stora et Benjamin Weill-Hallé se rendront à Nice, puis à Lyon pour retrouver la trace des fugitifs, Fernand Musnik, lui, ira jusqu’en Suisse et rédige un rapport à ce sujet le 10 août 1943 (CDJC, Délibérations du CA de l’UGIF, volume III). De son côté, André Baur a fort bien compris ce que l’on attendait de lui et le 2 août 1943 il s’adresse au garde des Sceaux, sous couvert du Commissaire général aux Questions juives. Cette lettre partant bien entendu du camp de Drancy.

 » Monsieur le ministre,

J’ai l’honneur de vous exposer ce qui suit Les Autorités allemandes ont prononcé mon internement du fait que mon cousin, M. Ducas Adolphe, demeurant auparavant à Marseille et qui était interné au camp de Drancy s’est évadé de ce camp le 21 juillet dernier. Lesdites Autorités m’ont fait savoir que mon internement serait prolongé aussi longtemps que M. Ducas ne se serait pas présenté. Elles m’informent que M. Ducas serait actuellement en Suisse et elles m’autorisent à faire toute démarche nécessaire en vue de son extradition et à sa remise éventuelle entre les mains de la police allemande. Je vous prie donc, Monsieur le ministre, de bien vouloir, pour me permettre de reprendre en toute liberté mes fonctions à la tête de l’établissement public que je préside, demander aux autorités helvétiques l’extradition de M. Adolphe Ducas. En vous remerciant de votre bienveillante compréhension pour la teneur de cette lettre, je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’assurance de ma haute considération.

André BAUR, matricule 3400. Camp de Drancy.
(CDJC-XXVIII, 183)

Outre que cette requête ne manque pas d’infamie, elle est la marque d’une étrange naïveté : celle qui consiste à croire que l’on relâche un otage quand c’est la Gestapo qui est à l’origine de la prise d’otage. Par ailleurs, les milliers d’internés juifs qui se trouvaient eux aussi à Drancy étaient également des otages mais pour eux il n’y avait pas de monnaie d’échange. Darquier de Pellepoix, alors CGQJ, n’est pas dupe de cette requête puisqu’il transmet au garde des Sceaux avec ce commentaire :

 » … N’ayant pas qualité pour apprécier le bien-fondé de cette requête, ni pour préjuger la décision du gouvernement suisse, je ne puis que vous transmettre la demande… « 

La bonne règle est respectée. Le ministre de la justice, garde des Sceaux, tout comme le CGQJ, se désintéresse totalement de cette affaire et, après avoir gardé sous le coude pendant un mois la lettre d’André Baur, il écrit au Commissaire général aux Questions juives le 4 septembre 1943 :

 » Par dépêche du 5 août 1943, vous avez bien voulu me communiquer la lettre ci-jointe de M. Baur vice-président de l’UGIF qui désire que soit demandée au gouvernement helvétique l’extradition du sieur Ducas, réfugié en Suisse après s’être évadé du camp d’internés de Drancy. ô J’ai l’honneur de vous faire connaître que le camp de Drancy n’étant plus sous le contrôle des Autorités françaises, l’évasion commise n’est pas punissable au regard de la loi française. En conséquence, l’extradition de Ducas ne saurait être demandée par le gouvernement français… « 

(CDJC-XXVIII, 200)

Belle façon d’exprimer une évidence :

l’UGIF, c’est l’affaire des nazis !

Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, L’U.G.I.F. 1941-1944,
Préface de Pierre Vidal-Naquet, EDI, 1980

Le convoi N°63

André Baur est déporté par le convoi n°63 en date du 17 décembre 1943, qui emmène vers Auschwitz 501 hommes et 345 femmes, 99 enfants de moins de 18 ans. Il y est assassiné par les nazis.

Liste alphabetique des convois

Serge Klarsfeld, Le Mémorial de la déportation des Juifs de France

Nota Bene André Baur est l’oncle de Charles Baur, qui fut président de la région Picardie, élu grâce aux voix du Front National.

Voir aussi : A propos de la collaboration de Juifs à la Shoah, le point de vue d’Hannah Arendt