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Des poèmes d’Ilan Braun

     Nous publions ici quatre poèmes où Ilan Braun évoque la déportation :

IL EST UNE FORET

Il est une forêt où les feuilles des arbres
Sont des bouches
Parlant au promeneur
Disant leur histoire de cendres
Où les troncs gris sont des corps de mères
Et les branches, leurs enfants
Ou le vent, tourbillonnant,
Entraîne les feuilles, eu une folle danse
Où la joie manque
Il est une forêt où mon âme peine
Et se perd
Pour la raison, nul repère
Où les ronces, aux épines cruelles,
Accrochent le vêtement de mon cœur
Où mes pas s’alourdissent
Où le soleil jamais ne brille
Où le silence se glace
Et nul oiseau de roucouler
Nulle silhouette amie pour m’accompagner
Et la forêt de frissonner
Six millions de feuilles grelottant sous le vent méchant

LES DERNIERES CHANDELLES

Les derniers survivants des camps s’éteignent : qui va désormais pouvoir témoigner ?

Elles s’éteignent, une à une, inexorablement
Ultimes lueurs dans la profonde nuit du temps
Sur la table de nos souvenirs
Pleurant leurs larmes de cire
Sur le bois sombre de nos vies
Brûlantes, pour un court instant
Flammes tremblotantes, s’étouffant
Si légères fumées, vers le ciel allant
Rappelant d’autres fumées,
Lourdes, sinistres et grises
Vers le ciel, allant, lentement
Dernières chandelles
Maintenant, à jamais éteintes
Sur notre table vide
La mémoire, désormais consumée ?

LES ROSES BLANCHES

A la mémoire d’un petit groupe de résistants allemands

Le temps flétrit les roses
Demeurent les épines
Au plus profond des hivers
Fleurissent des roses, couleur de neige
Blanc sur blanc
Dans un décor brun, noir et rouge
Etudiants si jeunes,
Hans, Christophe et Sophie
Seuls, très seuls
Dans un monde de silence
A crier, à crier
Et leurs roses blanches, aussi,
A embaumer un air empuanti
Solitaires mais solidaires
A braver toutes les forces contraires
Avec pour armes uniques
Des feuilles de papier blanc
Pétales de roses blanches
Collées sur les murs gris de la ville
Faire tomber le bandeau de haine
Qui maintenant nous aveugle
Frères, quand on abat comme des bêtes
Trois cent mille Juifs
Que faites-vous ?
Muet est le monde
Lorsque le couperet tombe
Tranchant la fragile tige de la vie
Trois roses blanches sur le ciment gris

LA RAFLE DE JÉSUS

L’étoile jaune de toile, cousue solidement,
Sur son coeur palpitait
Mais je suis chrétien ! clamait-il
Aux gardiens de l’ordre nouveau
Avant je portais une croix,
Pas une étoile !
Et les sbires du pire à venir, de ricaner
Jésus a été dénoncé par les siens, bons paroissiens
Cueilli à la sortie de l’église
Et, ouste, dans l’autobus
Direction Drancy
Voyage aller, presque gratuit
Manque le retour
Dans l’immense cour, une foule si dense
Et personne pour le reconnaître !
Ici Babel, grouillante de cris et de langues
Nul pour le comprendre
Et pourtant, tant de Juifs
Tant d’étoiles en ce firmament de ciment !
Un scribe galonné, inscrivant des noms
Et soigneusement, les empilant
en colonnes noires
le sang de sa plume d’acier grinçante
tachant le papier blanc
Eclaboussant au hasard infâme
Quelques noms
Jésus ?
Oui, Jésus, de Nazareth, en Palestine
Né en l’an zéro
Profession ?
Messie
Pressons, pressons,
Vous n’êtes pas le dernier !
Et ainsi, de Drancy, Jésus partit
En un train d’enfer
Aux horaires si précis
Avec sur sa tête, une couronne barbelée

Poèmes d’Ilan Braun, extraits du recueil (inédit)
« Labyrinthes. De la Terre au Ciel », 2003

On lira aussi sur ce site les pages d’Ilan Braun consacrées à la déportation des Juifs du Morbihan et à un juste : Aristides de Souza-Mendes