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Qui sont les négationnistes ?

On appelle « négationnistes », quelques personnalités isolées qui, pour diverses raisons, nient avec acharnement l’existence d’un génocide des Juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. Eux s’appellent « révisionnistes », mais leur activité principale est de nier l’Histoire et non simplement de la « réviser ».
Trois courants ont été négationnistes en France depuis la Seconde Guerre mondiale

Le négationnisme néo-nazi

Il est représenté par des hommes qui se déclarent eux-mêmes « fascistes » comme Maurice Bardèche et François Duprat, militant du Front National mystérieusement tué dans un attentat en 1978. Maurice Bardèche, beau-frère de l’écrivain nazi français Robert Brasillach fusillé à la Libération, a publié en 1948, Nuremberg ou la terre promise. Il anima le revue Défense de l’Occident. François Duprat, lui, est avant tout un activiste, un animateur de groupes de combat, entré au Front National en 1974 à la tête de la tendance « nationaliste-révolutionnaire ».

A ce courant, il convient d’ajouter Henri Roques.
Pourquoi remettent-ils en cause l’existence du génocide ?

Tout simplement par antisémitisme et par désir de réhabiliter le nazisme. Le génocide les empêche d’être entendus quand ils veulent manifester leur racisme contre les Juifs. Nier le génocide, c’est aussi pour eux expliquer que les Juifs seraient les plus grands menteurs du siècle, les inventeurs de la persécution dont ils tireraient des avantages matériels. La négation de la Shoah est ainsi un moyen de retourner le génocide… contre les Juifs eux-mêmes.

Le négationnisme de quelques éléments anarchistes et de l’ultra-gauche

Un des premiers négationnistes est Paul Rassinier, un ancien militant de la SFIO (socialistes) déporté pour faits de résistance (à Buchenwald et à Dora, donc pas dans un camp d’extermination). A son retour, il écrit quelques récits dont Le Mensonge d’Ulysse (1950). Son anticommunisme viscéral le pousse à relativiser mettre en cause la séparation radicale entre les SS et les déportés. Parmi les déportés, les kapos ont joué un rôle répressif important dans les camps, tandis que les communistes se seraient comportés cruellement pour sauvegarder leur organisation. Il émet aussi des doutes sur l’existence des chambres à gaz. Exclu de la SFIO en 1951, Paul Rassinier passe alors à la Fédération Anarchiste. Pendant des années, il joue une sorte de double jeu, militant anarchiste très actif et en même temps, se faisant éditer en Allemagne par des néo-nazis et collaborant à la presse d’extrême-droite sous un pseudonyme. Au début des années soixante, sur l’intervention des militants anarchistes allemands consternés de le voir faire des conférences devant un parterre de néo-nazis, Rassinier doit s’éloigner de la Fédération Anarchiste. Il meurt à la fin 1964.
Une dizaine d’années après, un autre courant de l’ultra-gauche, très minoritaire, la Vieille Taupe, reprend à la fois les idées de Rassinier et celle d’un marxiste très particulier, Amadeo Bordiga. Pierre Guillaume est le principal animateur de ce courant et de la Librairie « La Vieille Taupe » qui va éditer ou diffuser les écrits négationnistes, dans les années 70.
Pourquoi remettent-ils en cause le génocide juif ? Pour eux, l’antifascisme est un obstacle à l’idée de la révolution ouvrière. Les bourgeois ont « inventé » un mal absolu : Auschwitz, pour faire oublier l’exploitation des ouvriers et celle du Tiers-Monde. Les démocraties et le monde communiste auraient chargé volontairement la barque du nazisme pour faire oublier leurs propres crimes. « L’antifascisme et l’antinazisme leur ont permis de justifier aussi beaucoup d’ignominies depuis. » (Tract de La Guerre Sociale, 1979).
Un autre aspect de leur démarche est l’hostilité à l’Etat d’Israël. Les Juifs, selon eux, auraient utilisé un génocide « inventé de toutes pièces » pour justifier l’existence de l’Etat d’Israël et persécuter le peuple palestinien. Parmi les négationnistes de ce type, il faut nommer Ahmed Rami, réfugié en Suède où il anime Radio-Islam (radio et site internet) et Roger Garaudy, condamné par la Justice française pour Les mythes fondateurs de la politique israëlienne.

Le « professeur » Faurisson

Un troisième cas est celui de Robert Faurisson. Il se dit apolitique et se présente comme un chercheur « scientifique », un historien venu pour apporter la vérité au monde : « les chambres à gaz n’auraient jamais existé et seraient une invention des Juifs ». Mais Robert Faurisson n’est pas un historien. S’il est bien professeur d’université, c’est de littérature. Il fait quelques recherches (moins qu’il ne le dit) et utilise une curieuse méthode pour nier l’existence des chambres à gaz. Les documents, il est vrai, manquent parfois car les nazis ont tenté de dissimuler leur crimes, ont brûlé des archives, ont dynamité les chambres à gaz d’Auschwitz à la fin de la guerre. Mais quand on présente des documents au « professeur Faurisson, il utilise des « méthodes » bien particulières :

  1. tout témoignage d’un Juif est forcément suspect et donc non valable
  2. tout témoignage d’un nazi, écrit pendant la guerre ou après la fin de la guerre, comme celui du Docteur Kremer, de Gerstein, de Rudolph Höss, ont forcément été obtenus par la torture et et ne sont pas valables
  3. tout codage des textes nazis (par exemple les expressions « action spéciale » ou « solution finale ») est refusé et ne doit pas être interprété dans le sens du génocide
  4. tout document prouvant l’existence des chambres à gaz (plans, factures…) ou bien doit être interprété autrement, ou bien est un faux fabriqué par les juifs ou par les services secrets soviétiques.

Tout ceci se déroule dans un climat de malhonnêteté et de mauvaise foi évidentes. Ainsi, au début des années 80, Faurisson envoie un jeune négationniste convaincu, Jean-Claude Pressac, aux Archives d’Auschwitz pour prouver grâce aux plans qui y sont conservés, que les chambres à gaz n’auraient pas pu exister ni fonctionner. Jean-Claude Pressac travaille durant des jours et des jours, pour finalement s’apercevoir qu’il y a bel et bien des preuves de la transformation des crématoires en chambres à gaz homicides. Il revient en informer le « professeur » Faurisson qui refuse de l’écouter et rompt avec lui.
Pour quelles raisons Faurisson nie-t-il l’existence des chambres à gaz ? Il y a chez lui, quoiqu’il en dise, un antisémitisme profond, mais ce n’est sans doute pas la raison principale de son attitude. Ce petit professeur de littérature a une soif de reconnaissance, il veut être connu. Sa nouvelle activité lui a certes fait perdre son poste de professeur à l’Université, mais il est à présent accueilli par tous les groupes négationnistes, néo-nazis de la planète. Il a ainsi été reçu aux Etats-Unis où il a publié, dans des journaux d’extrême-droite.

Pour terminer, voici une des premières réactions à l’éclatement, en 1974, de l’ « Affaire Faurisson ».

Une première réponse à Faurisson, celle de Charlotte Delbo

Les chambres à gaz me semblent-elles avoir été un mythe ou une réalité… La question m’accable. […] Non, Monsieur, la rangée d’énormes cheminées d’où sortait jour et nuit une épaisse fumée noire n’est pas une invention de survivants. Certes, une photographie ne montre aucune différence entre ces cheminées et celles de hauts-fourneaux, mais l’odeur? L’odeur de la chair qui brûle ? L’odeur n’est pas retenue par la photographie. De même, une photographie de la chambre à gaz montre un hangar banal. Mais j’ai vu déferler sur Auschwitz, où je suis arrivée le 27 janvier 1943, des Juifs de toute l’Europe, des populations entières que les SS poussaient vers ce hangar et qui y disparaissaient pour toujours. Excusez-moi, monsieur, à Birkenau j’étais privée de tout, même d’un appareil photo. Mon opinion sur la possibilité d’existence des chambres à gaz ? Ce n’est pas une opinion que j’ai, c’est la certitude de les avoir vues. Et que cette certitude ait pu varier depuis vingt-neuf ans… Quelle question !
[…] Le «rétro», qui fait de l’esthétisme avec le nazisme, qui romantise l’hitlérisme, lui donne une trouble fascination, est plus qu’une mode qu’auraient lancée des intellectuels blasés ou à court d’imagination. Le danger est plus grave. On révise l’histoire pour en réviser les leçons. On veut effacer la vérité pour qu’une renaissance du fascisme ne paraisse pas une menace mortelle. N’étaient-ils pas beaux, ces SS dans leurs uniformes, et virils, et ardents à l’amour et investis de ce pouvoir suprême : donner la mort? N’est-ce pas un héros, ce bel SS, un modèle à proposer à des jeunes gens qui cherchent un but à leur vie ? Oui, l’entreprise est plus grave qu’il n’y paraît. Qu’on permette à une survivante d’Auschwitz de demander qu’on y réfléchisse .

Le Monde
11-12 août 1974

A lire absolument sur cette question : Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, 2000