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Pillango,
La petite fille sans nom

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Il était une fois

Toutes les belles histoires commencent ainsi

Donc, il était une fois un papillon jaune qui butinait les fleurs multicolores d’un petit jardin.

Il pondit un tout petit œuf, brillant comme les couleurs de l’arc-en-ciel !

Au fil du printemps, le soleil réchauffa le petit bouton caché sous une feuille de cerisier, jusqu’au jour où une chenillette mit le nez à la fenêtre. Elle se nourrissait des feuilles de l’arbre en faisant bien attention de ne pas manger les fleurs afin que les enfants puissent se régaler des fruits rouges à venir.

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Un doux matin de mai, une jeune femme qui rêvait d’avoir un bébé regardait les cerises mûrir, quand tout à coup, elle aperçut un fil de soie tout fin se balancer dans le vent.

Elle tira, tira si bien qu’en peu de temps, elle eut dans la main un léger peloton doré et elle n’eut que le temps d’attraper dans l’autre un minuscule bébé frisé, la petite fille sans nom venait de naître.

La nouvelle maman, qui s’appelait Feigele était si heureuse qu’elle alla montrer son bel enfant à son mari qui lui se nommait Moïse (tout le monde disait Maurice) Toute cette belle famille était heureuse.

Comme il fallait donner un prénom au beau bébé et que « petite fille sans nom » était trop long et pas joli, ils appelaient leur fillette : chérie, trésor et parfois Pillango (qui veut dire papillon en hongrois), le surnom lui resta.

Avec le peloton ramassé lors de la venue de Pillango, sa maman lui fit une belle robe jaune à volants avec des manches en ailes de papillon, et son oncle cordonnier lui fabriqua des chaussons de danse pour qu’elle puisse danser son bonheur de petite fille ; extraordinairement le peloton couleur de paille blonde ne diminuait jamais.

Pillango allait jouer dans de grandes tours blanches qui s’élevaient derrière le jardin. Elle courait et jouait à cache-cache avec Déborah et David. Un peu plus tard, de grands oiseaux noirs se sont envolés du Bourget tout proche puis après le joyeux gazouillis des mésanges se sont succédés le bruit des bottes d’hommes habillés de noir avec un drôle de dessin sur le revers de la veste. Ils chantaient Alli, Allo (comme au téléphone). Pillango aimait bien chanter sauf la prière qu’il fallait entonner pour un vieux monsieur que les maîtresses appelaient Maréchal.

Les sirènes (pas les femmes poissons) interrompaient parfois les cours. Pillango avait douze ans lorsque sa maman ressortit en pleurant le petit peloton couleur de paille mure. Elle fit des étoiles jaunes comme le soleil d’été, dans lesquelles elle avait rebrodé en noir le mot « JUIF » Elle en avait cousu une sur le tablier de sa fille Avant d’arriver à l’école, elle vit que Déborah et David portaient la même étoile, ceux-ci dirent à la petite fille, que leurs parents avaient été les chercher au commissariat. Les trois enfants ne comprenaient pas pourquoi l’étoile les empêchait de jouer dans le square avec les autres, comme si cette étoile était une tache jaune sale. Par la suite, lorsque Pillango grandit, elle changea d’école. C’était loin, il fallait prendre l’autobus.

Un jour, des policiers sont venus chercher le papa de Pillango pour aller le conduire à côté des grandes tours blanches. Les bâtiments étaient entourés de fil de fer haut, haut… s’il se penchait vers la gauche, il pouvait deviner le jardin où ne jouait plus son cher petit papillon. Chaque matin, Pillango voyait son papa qui lui envoyait des baisers, c’était défendu car les gardes punissaient ceux qui faisaient des signes Il y avait même des enfants tous badgés de jaune.

Un jour que Pillango prenait l’autobus pour aller au collège, un autobus semblable au sien a croisé son chemin. Sur la plate-forme des bagages étaient entassés, et derrière une fenêtre elle a cru reconnaître son papa chéri. Cet autobus allait à la gare toute proche, et des soldats ont poussé les voyageurs dans des wagons à bestiaux où la paille était ternie comme si le peloton de maman Feigele avait vieilli. Ensuite, plus de papa, plus rien, rien qu’un petit nuage de fumée devant le soleil. Puis une étoile supplémentaire s’est allumée dans le ciel et dans le cœur de l’étoile, il y avait le visage du papa de Pillango.

Six mois après un homme est venu chercher maman Feigele pour la conduire jusqu’aux petits bâtiments qu’elle avait vu construire. Elle a également pris le train, peut-être allait-elle retrouver son mari chéri. Lorsqu’elle est arrivée dans un endroit inconnu, des chiens et des hommes habillés de noirs (et même dans leur tête) aboyaient ensemble ! Les hommes noirs et les chiens l’ont dirigée vers un lieu où il y avait comme un feu d’artifice rouge, jaune, immense. Les étincelles crépitaient et montaient dans le ciel, portées par une spirale de fumée grise et blanche. Une flammèche jaune s’est détachée et s’est envolée vers l’étoile du papa de Pillango. Maman Feigele a cassé le fil de son peloton dorée et avec son aiguille d’habile couturière elle a cousu son étincelle brillante à une des branches de l’étoile supplémentaire, juste au-dessus de leur maison où n’habitait plus personne.

Des personnes qui croyaient bien faire ont caché Pillango, elle aurait préféré être avec papa et maman, elle ne voulait pas jouer à cache-cache. Pillango n’avait plus rien : ni parents, ni amis, ni même de nom, elle était devenue indésirable. Il est vrai qu’elle était en danger de mort si elle sortait. Elle était devenue transparente parmi les filles de son âge qui riaient qui jouaient. Elle ne voulait ni pouvait pleurer (peut-être qu’un jour les hommes noirs lui rendraient ses parents) Pillango rêvait à la vie d’avant, et aussi à la vie d’après, lorsqu’elle serait de nouveau dans sa maison avec Papa et Maman. Au mois d’août, il y a beaucoup d’étoiles filantes, mais elles ne redescendent jamais sur terre et plus personne n’a entendu parler des parents de Pillango.

Maintenant, Pillango est une dame âgée, il n’y a que son cœur et sa tête qui se sont arrêtés à l’âge où ses parents l’ont quittée.

Pourtant, des fils d’or tissent sa vie, son bébé aux cheveux blonds est devenu une maman qui a eu elle aussi des beaux enfants une fille aux boucles d’or, un garçon aux mèches couleur de chaume brûlée et encore un autre garçon au gazouillis d’oiseaux.

Pillango est sereine, son seul regret, est de ne plus pouvoir dérouler le petit peloton doré, il a lui aussi disparu dans l’éternité, cependant lorsqu’elle lève les yeux vers le firmament, où qu’elle soit, elle voit deux étoiles dorées réunies par un fil de soie. Dans le cœur de chacune d’elle il y a une photo, celle de son papa et celle de sa maman. Un tout petit fil pend, un fil ténu mais solide, jaune comme les ailes d’un papillon. C’est ce qui reste du petit peloton jaune, juste assez pour que Pillango puisse l’attraper le moment venu afin de rejoindre ses parents.