Dans l’ordre Klaus BARBIE (1987), Paul TOUVIER (1992), Maurice PAPON (1997), Aloïs BRUNNER (2001)
Sommaire
Klaus Barbie (1913-1991)
Voir la page Klaus Barbie, le tortionnaire de Jean Moulin, l’organisateur de la déportation des enfants d’Izieu
Un fonctionnaire du Parti nazi
Barbie est entré au SD (service de renseignement) de la SS le 26 septembre 1935 à Trêves. Il adhère au parti nazi (NSDAP) le 1er mai 1937. C’est un fonctionnaire du parti. En 1940, il organise les rafles d’Amsterdam. À l’issue de la prise en main des polices allemandes en France par Oberg fin mai 1942, l’Obersturmfûhrer Klaus Barbie est nommé chef du Kommando Gex sur la frontière franco-suisse, chargé du renseignement.
Le « boucher de Lyon »
Après l’invasion de la Zone Sud, le 11 novembre 1942, il a le grade de lieutenant, et il est nommé chef de la section IV du Sipo SD de Lyon, section spécialement chargée de la recherche, de la répression et de la lutte contre la Résistance, jusqu’en septembre 1944. Il acquiert très vite le surnom de « boucher de Lyon » pour sa férocité lors des interrogatoires. Il dirige l’arrestation de Jean Moulin et des sept autres responsables de l’armée secrète le 21 juin 1943 à Caluire. Le 23 juin, ayant identifié Moulin, Barbie et ses hommes s’acharnent sur « Max », dont il salue le courage. Il reçoit l’ordre de le transférer sur Paris début juillet. Jusqu’au milieu de l’été suivant, Barbie mène une lutte sans merci contre la résistance lyonnaise, les réfractaires et les juifs. Le 6 avril 1944, 44 enfants de trois à treize ans sont raflés à la maison d’Izieu, transférés à Drancy, déportés à Auschwitz où ils seront exterminés. Le 11 août, il envoie en déportation 650 Lyonnais dont 200 juifs. Au cours de l’été 1944, il fait régner la terreur dans toute la région lyonnaise, commande des exécutions, comme celles de Saint-Genis-Laval et de Rillieux-la-Pape. Le triste bilan suivant lui est attribué pour la seule région de Lyon : 10 000 arrestations 1 046 fusillés 6000 morts ou disparus. Promu capitaine, il quitte Lyon le 27 août.
Protégé par les Américains
Condamné à mort par contumace, en mai 1947 puis en novembre 1954, Barbie est récupéré après la guerre par les services spéciaux américains. Il travaille jusqu’en 1951 au « réseau Genlen », Service de Renseignements de la RFA chargé du contre-espionnage des pays de l’Est. Il est ensuite directeur de la Trans Maritima Bolivia en Bolivie.
Retrouvé en Bolivie
Beate Klarsfeld établit la relation entre Altmann et Barbie, que confirme l’interview de Ladislas de Hoyos pour la 2e chaîne le 4 février 1972. Le président Pompidou demande aux autorités boliviennes son extradition en déclarant : « le temps efface beaucoup de choses mais pas tout ». Barbie est extradé le 7 février 1983. Son procès s’ouvre à Lyon en 1987, Jacques Vergès assurant sa défense. Il est condamné à perpétuité pour crime contre l’humanité et meurt le 28 septembre 1991.
Christine Levisse-Touzé,
Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation,
sous la direction de Michèle et Jean-Paul Cointet,
Tallandier, 2000(intertitres ajoutés)
Paul Touvier (1915-1996)
Une famille très catholique
Né dans une famille savoyarde catholique, Paul Touvier n’a pas fait particulièrement honneur à ses éducateurs de l’institution Saint-François-de-Sales de Chambéry qu’il quitte à seize ans pour un emploi d’expéditionnaire au PLM à Ambérieu. À la veille de la guerre, déjà veuf, il vit à Chambéry. Il ne se distingue pas spécialement dans la guerre à la 8e division d’infanterie nord-africaine où, à la suite du bombardement de Château-Thierry, il est retrouvé errant.
Il revient en 1940 à Chambéry occupé par les Italiens et adhère à la Légion française des combattants en octobre, sans dépasser le modeste poste de responsable de quartier, ce qui est normal s’agissant d’un combattant de 1939-1940.
Il entre à la Milice
La vie de Touvier prend un nouveau cours avec la création du SOL et de la Milice où l’héritage social, la notoriété combattante comptent moins que l’action et la conviction idéologique. Il bénéficie du premier stage de l’Ecole des cadres de la Milice à Uriage où sont détectées ses qualités de policier. Il est chargé du deuxième service de la Milice en Savoie. L’employé obscur disparaît. M. Paul est né. De la Savoie, Touvier est appelé à Lyon où il est équipier national, chef régional de la Milice (dix départements), inspecteur national et en janvier 1944 chargé de mission au secrétariat d’État au Maintien de l’ordre. La politique et la police politique apportent à Touvier la réussite sociale, des satisfactions psychologiques et des avantages matériels. Il infiltre la Résistance, interroge des prisonniers, dirige des rafles, pille des biens et venge Henriot en faisant fusiller sept juifs à Rillieux-la-Pape, le 29 juin 1944.
En août 1944 Touvier reste au siège de la Milice à Lyon, 5, impasse Cathelin. Il ne suit pas les Allemands. Sans doute se croit-il protégé. Il a pu établir des contacts avec la Résistance modérée. Il veut jouir d’une petite fortune mal acquise. L’abbé Stéphane Vautherin le conseille et obtient de lui la libération de prisonniers. Il lui offre son premier asile clandestin en .septembre 1944.
Protégé par des responsables de l’Eglise
Commence pour Touvier une fuite loin de Lyon : une pension de famille (achetée 300 000 francs) offre un abri à Montpellier. Il se retrouve ensuite à Ceignac puis à Boutencourt dans l’Oise où des membres de sa famille sont arrêtés par les gendarmes qui ne s’intéressent pas à Touvier, lequel présente des papiers au nom de « Trichet ». Le 10 septembre 1946, Paul Touvier est
condamné à mort par contumace par la cour de justice de Lyon, et le 4 mars 1947 à la même peine par la cour de justice de Chambéry. Après 1967, Touvier, qui bénéficie de la prescription des crimes de guerre, vit à Chambéry dans la maison de famille. La volonté de recueillir sa part d’héritage, ce que les peines accessoires interdisent, l’amène à se découvrir. Les multiples démarches en sa faveur de Mgr Duquaire, protecteur et ami du couple Touvier, aboutissent le 23 novembre 1973 à un décret de grâce du président Pompidou.
Poursuivi pour crime contre l’humanité
Les associations de résistants portent plainte en novembre 1973 contre Touvier pour complicité de crime contre l’humanité, ce que justifient l’assassinat des époux Basch et la fusillade de juifs à Rillieux-la-Pape. Le 13 août 1992 la chambre d’accusation conclue par un non-lieu qui suscite une vive émotion. Le procureur général de Paris, Pierre Truche, forme un pourvoi devant la Cour de cassation qui casse cet arrêt de non-lieu le 27 novembre 1992. La Cour d’assises des Yvelines juge Touvier et le condamne à la réclusion criminelle à perpétuité.
d’après Michèle Cointet
Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation,
sous la direction de Michèle et Jean-Paul Cointet,
Tallandier, 2000
(intertitres ajoutés)
Maurice Papon (1910- )
Un haut fonctionnaire « modèle » ?
Maurice Papon est un haut fonctionnaire épris d’une réussite que justifient une intelligence alerte et une application aux tâches administratives. Tous les régimes politiques ont utilisé ses qualités et ses compétences. Diplômé de la faculté de droit et des sciences politiques, Papon est attaché à des cabinets de ministres, élus de Seine-et-Marne, amis de son père, notaire à Gretz-Armainvilliers. En 1941, il poursuit sa carrière au ministère de l’Intérieur comme directeur de cabinet du secrétaire général pour l’Administration, Maurice Sabatier. Il le suit à Bordeaux quand Sabatier y est nommé par Pierre Laval préfet régional. Le 1er juin 1942, Papon est secrétaire général de la préfecture de la Gironde.
Rafles de juifs à Bordeaux, Papon fait du zèle !
Un mois après sa prise de fonctions Maurice Papon est confronté à l’obligation de procéder à une première rafle de juifs demandée par les Allemands qui, en zone occupée, surveillent étroitement les fonctionnaires. La préfecture collabore aussi aux arrestations des 15, 16 et 18 juillet. Dix autres convois suivent. S’il ne pouvait se dérober, Maurice Papon pouvait ne pas manifester de zèle. Or il se montre un fonctionnaire rigoureux, faisant arrêter des juifs de nationalités protégées et des enfants en bas âge.
Un « résistant » de la dernière heure
En juin 1944, Maurice Papon se met à la disposition du commissaire de la République, Gaston Cusin, qui manque de cadres administratifs résistants d’origine politique modérée pour différents postes à responsabilités. Le 22 août 1944, nommé alors préfet des Landes (un simple grade), Papon exerce en fait les fonctions de directeur du cabinet de Cusin. Le CDL [Comité de Libération] proteste en vain en novembre. Une commission d’épuration administrative confirme Papon dans ses fonctions, qu’il assume aussi pour Jacques Soustelle, successeur de Cusin.
Une « belle » carrière
En octobre 1945, il rejoint le ministère à la sous-direction de l’Algérie. En 1947 il est préfet de Corse et en 1949, préfet de Constantine. Après un passage à la préfecture de police et dans les services du Protectorat, au Maroc, il retrouve la préfecture de Constantine en mai 1956. En mars 1958, il est préfet de police et le demeure après le changement de régime de cette même année. Il est député du Cher en 1968.
Le passé remonte
L’épisode de Bordeaux serait resté dans l’ombre si Papon n’était devenu ministre du Budget dans le gouvernement Barre en 1978. Le Canard Enchaîné rappelle son passé en mai 1981. Michel Slitinsky publie des documents sur les rafles. Maurice Papon demande à être jugé par un jury d’honneur du comité d’action de la Résistance de Marie-Madeleine Fourcade, qui réunit Daniel Mayer, Jean Pierre-Bloch, le RP Riquet, Charles Verny. Ce jury conclut que Papon a appartenu aux forces françaises combattantes à partir de janvier 1943 et qu’il possède la carte de combattant volontaire de la Résistance mais qu’il aurait dû renoncer à ses fonctions à la préfecture
de la Gironde en juillet 1942. Le jury déclare à l’unanimité qu’à son avis et à celui des témoins, sauf Me Klarsfeld, le reproche de crime contre l’humanité est exclu. Le préfet Sabatier avait revendiqué devant le jury d’honneur – comme il le fera devant le juge d’instruction – la pleine responsabilité. Mis en examen, il est mort pendant l’instruction.
Une longue procédure judiciaire
Sur plainte de victimes, le 19 janvier 1983, Maurice Papon est inculpé de complicité de crime contre l’humanité. Après une procédure chaotique, le 8 octobre 1997 s’ouvre devant la cour d’assises de la Gironde le procès d’un homme de quatre-vingt-sept ans. La défense est active mais pèsent lourdement deux factures de taxi (350 et 575 francs) du 25 août 1942 réglées par la préfecture pour le transport d’enfants juifs. Le 2 avril 1998, Papon est condamné à dix ans de prison. Il s’est pourvu en cassation. En octobre 1999, Maurice Papon ne se constituant pas prisonnier, son pourvoi en cassation est déclaré irrecevable et, après une fuite en Suisse, il est incarcéré à la prison de Fresnes.
d’après Michèle Cointet
Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation,
sous la direction de Michèle et Jean-Paul Cointet,
Tallandier, 2000
(intertitres ajoutés)
Maurice Papon a été libéré pour raisons de santé, après une décision contestable de la Cour de Cassation, le 18 septembre 2002. Il est mort le 17 février 2007 après avoir été libéré pour raisons de santé.
Aloïs Brunner (1912- ?)
Aloïs Brunner a été jugé et condamné à la prison à perpétuité, le 2 mars 2001, devant la Cour d’Assise de Paris. En fuite, se cachant probablement en Syrie, il a été jugé « par contumace »
Une famille autrichienne, catholique et antisémite
Le fils de Joseph Brunner et d’Anna Kruise est né le 8 avril 1912, à Rohrbrunn, un village de la partie hongroise de l’Empire autrichien. Sa famille, des petits paysans, est imprégnée de nationalisme et d’un catholicisme fortement teinté d’antisémitisme. Ici, on reprochait aux Juifs d’être à l’origine de la défaite de la Première Guerre mondiale et des maux de l’Autriche.
Aloïs Brunner a 15 ans lorsque, faute de moyens, il doit interrompre sa scolarité et devenir apprenti dans un grand magasin.
Il adhère au parti nazi autrichien
A 19 ans, il adhère au parti nazi de Purstenfeld, matricule 510.064. Après quelques mois, il est admis dans la milice nazie des SA (SturmAbteilungen). On est en décembre 1931. Dans une biographie fouillée, le journaliste Didier Epelbaum a retrouvé l’appréciation laudative de son chef de section: «Brunner était un combattant enthousiaste pour notre idée et sacrifiait tout son temps libre.»
Il rencontre Eichmann
Lorsque le parti nazi est interdit en Autriche, le 19 juin 1933, Brunner a ordre de rejoindre la Légion autrichienne, Il y rencontre Adolf Eichmann, premier exécutant de la «solution finale». «C’est l’un de mes meilleurs hommes», disait Eichmann de Brunner. Dorénavant, celui-ci exprime ouvertement et violemment sa haine des Juifs.
Il entre dans la S.S. et à la Gestapo
Une semaine après la Nuit de cristal du 10 novembre 1938 Brunner pose sa candidature à la SS. Il est accepté le l0 avril 1939. Matricule 342.767. Il adhère au Sipo (Sicherheitspolizei)-SD, issu de la fusion de la police de l’Etat et du parti. A la Gestapo, il relève de la section des affaires juives. Lorsqu’il quitte Vienne, en octobre 1942, il n’y reste que 8 300 Juifs: «Soyez heureux que j’ai nettoyé la belle Vienne des Juifs», déclarera-t-il quarante ans plus tard.
En octobre 1942, à Berlin, Brunner fait déporter 20000 Juifs. De février à mai 1943, à Salonique, il en fait déporter plus du double.
Commandant du camp de Drancy, organisateur de la déportation
Le SS Hauptsturmführer (capitaine), entré le 18 juin 1943 au camp d’internement de Drancy, avec la mission d’accélérer la déportation des Juifs de France, est jugé [à Paris en 2001] pour avoir entre le 21 juillet et le 4 août 1944, commis les crimes d’«enlèvement» et de «séquestration» de 352 enfants, dont 345 ont été déportés, et pour «complicité d’assassinats» ou «tentative d’assassinats» à l’encontre de 284 enfants exterminés dans le camp d’Auschwitz-Birkenau, ou qui ont péri dans le camp de Bergen-Belsen.
La plus jeune des victimes d’Aloïs Brunner avait 15 jours. Alain Blumberg était né à Drancy le 17 juillet 1944. Son berceau, une petite caisse de bois recouverte de gaze, avait été placé auprès de déportés allongés sur des civières, dans le convoi du 31 juillet 1944, numéro 77 de la classification des services allemands.
Jusqu’au bout
Il quitte Paris le 17 août 1944 pour la Slovaquie où il déportera 13500 Juifs. Le l3 mars l945, il fait partir un dernier convoi du camp slovaque de Sered. On peut estimer que, au total, 147.000 Juifs ont été déportés par Aloïs Brunner.
Brigitte Vidal-Durand
Libération, 2 mars 2001
(à partir de 2 articles, intertitres ajoutés)