Par Liliane Marton
Liliane Marton, enfant cachée durant la guerre, fille de Juifs hongrois déportés et assassinés à Auschwitz, s’interroge sur le pardon.
S hoah en hongrois
se prononce Chô-hâ
‘H’ aspiré, grand aspirateur des volutes de fumées noires.
Chô-hâ en hongrois
veut dire jamais
Plus chô-hâ ça
Plus jamais çà.
Chô-hâ la haine, chô-hâ oublier
Peut-on, doit-on pardonner la Shoah ?
qui me rendra les baisers de mes parents ?
À qui donner le pardon ? Qui apaisera ma tourmente ?
À qui donner ce pardon qui permettrait
aux milliers d’orphelins à cheveux gris
coupable dès leur naissance, de dormir en paix
À qui donner ce pardon ?
À ceux qui nous ont coupé nos racines ?
À ceux qui nous ont ôté le terreau nourricier ?
Nos enfants, nos branches, souffrent avec nous
d’une insuffisance qui ne sera jamais comblée.
Ils espèrent avec nous, atteindre un jour
Une relative sérénité.
À tout péché miséricorde…
Les robots humains obéissant sans vergogne
à leur démiurge dément
savaient ce qu’ils faisaient,
peut-on leur pardonner ?
puisqu’ils n’ont jamais rien demandé ?
À Nuremberg, ils plastronnaient encore.
Ils ont ouvert grandes les portes du Schéol
aux innocents de la Shoah
Pas plus qu’ils ne leur ont fait compassion
pas plus ils n’ont demandé pardon.
À qui donner ce pardon ?
afin que la lourde exhalaison noire
devienne vaporeuse fumée
puis brume légère qui dansera avec l’arc-en-ciel,
spectre joyeux de l’arche d’alliance
devant laquelle le roi David danse !
Vision onirique qui n’arrivera
que lorsque lors de ma longue errance
je trouverai à qui donner le pardon.
Le pardon c’est ce qui se demande à l’autre
et d’abord à la victime
Il est aussi difficile de demander pardon que de le donner.
Quand en 1945 (j’avais quinze ans), j’ai appris que je ne reverrais jamais mes parents, ni le restant de ma famille, ni mes amis, je me suis demandé pourquoi eux et pas moi, j’étais coupable de vivre pendant que eux étaient assassinés.
Je pensais que j’allais trucider tous les Allemands qui pourraient passer devant moi; pas de distinction entre nazis et les autres, de toute façon les autres s’étaient tus !
Plus tard, lorsque mes rancœurs, mes amertumes s’effaçaient, je me suis dit que les jeunes allemands de mon âge étaient aussi malheureux que moi parce qu’ils portait sur eux l’opprobre de leur parents qui rejaillissait sur leur personne, et ils n’y étaient pour rien.
Pour eux également, il était difficile d’être victimes (par la faute, l’erreur, de leurs parents qu’ils aimaient.
Les années ont passé et la mode du pardon est venue, tout le monde veut se donner bonne conscience.
Demeurant dans lé région parisienne, j’ai assisté à Drancy à la grand messe du pardon; excusez-moi, mais c’est ce que je ressens.
Devant la cour en U, devant le wagon, des personnalités; dans la foule : des survivants (déportés revenus) des rescapés (enfants qui auraient dû être déportés, et qui étaient là, sans parent, sans ami) attendant qu’on leur demande pardon.
La foule recueillie, émue, était prête à donner le pardon qu’on leur demandait….
Et Mgr Olivier de Béranger, pour l’Église, de demander pardon…. à Dieu.
Je ne sais si ce dernier le lui a accordé, moi pas, parce que ni l’Église, ni les autres ne me l’ont demandé.
Et pourtant, combien cela me soulagerai de donner un pardon, de ne plus porter le poids de la détresse, de ne pas transmettre cette détresse.
Peut-être viendra le temps où cette tension s’atténuera, mais après 55 ans, la douleur est toujours aussi vive, le temps du deuil n’est pas arrivé et celui du pardon non plus, car, je le répète, personne ne me l’a demandé.
Voir aussi : Pardonner ? A qui ?