Sommaire
1 — premières discriminations
L’Argus Soissonnais du 22 janvier 1941
Depuis le statut des Juifs d’octobre 1940, les interdictions se multiplient. Celle-ci enlevait leurs moyens d’existence aux modestes marchands-forains juifs de Soissons : la famille Wajsfelner, par exemple. Certains d’entre eux parvinrent à survivre en maintenant une activité commerciale dans leur appartement. En attendant les rafles…
2 — second statut des Juifs
L’Argus Soissonnais du 18 juin 1941
Le journal soissonnais évoque le texte du Second statut des juifs qui remplace le statut de 1940.
3 — confiscation des postes de radio
L’Argus Soissonnais des 16 août et 3 septembre 1941
Au moment même où des postes de radio sont confisqués aux Juifs (ordonnance d’août 1941), l’Argus Soissonnais fait paraître cette publicité (1er document). L’information concernant l’interdiction paraît avec un mois de retard (2ème document). A Soissons, M. Cahen, un commerçant déporté en février 1944, privé de T.S.F. allait, jusqu’à la veille de son arrestation écouter la B.B.C. chez son employée, Mme Cholet.
4 — deux lignes brèves…
L’Argus Soissonnais du 19 août 1941
Les arrestations de Juifs sont connues avec du retard. Deux lignes de « brèves », deux fois moins que pour la baisse du niveau de la Seine…
A noter que c’est le gouvernement de Vichy qui organise ces arrestations, en zone non-occupée par les nazis. Mais l’adjectif « apatrides » est là pour tout justifier.
5 — parlementaires d’un parlement fantôme
L’Argus Soissonnais du 15 janvier 1941
Parmi les députés invalidés, Pierre-Bloch, député de l’Aisne du Front Populaire. Il est en bonne compagnie : Léon Blum, Jean Zay (ministre de l’Education Nationale du Front populaire), Pierre Mendès-France sont aussi du nombre. Cette mesure est purement symbolique, puisque, de toutes façons, Pétain ne réunit plus la Chambre des Députés depuis 1940. Elle prélude au procès de Riom (10 février 1942 – 11 avril 1942) et à la déportation de Léon Blum (mars 1943) vers Buchenwald. Jean Zay fut, lui, enlevé et assassiné par des miliciens, le 21 juin 1944. Georges Mandel, homme politique de droite, fut remis aux Allemands en novembre 1942, qui le livrèrent aux miliciens qui l’assassinèrent en forêt de Fontainebleau le 7 juillet 1944.
6 — repérer et humilier, avant d’arrêter
L’Argus Soissonnais, 5 juin 1942
L’Argus Soissonnais, 15 juillet 1942
7 — le zèle d’une sous-préfecture
Avec zèle, la sous-préfecture de Soissons, qui gère aussi l’ancien arrondissement de Château-Thierry, met en place la distribution des étoiles jaunes. On est prêt à faire un effort pour la fournir même à ceux qui n’auraient plus de points textiles sur leur carte de rationnement. Quelle générosité !
8 — préparation administrative des rafles
Par télégramme, le Ministère de l’Intérieur français demande au Préfet de l’Aisne de préparer, par un recensement, les déportations. On est en avril 1942 ; les arrestations auront lieu en juillet.
9 — l’aryanisation, un vol devenu légal
Le Préfet de l’Aisne supervise, à la demande des Allemands, l’aryanisation des entreprises dont les propriétaires étaient juifs. Magasins et entreprises appartenant à des Juifs sont donc confisquées et confiées à un administrateur non-Juif.
10 — les préfets organisent la déportation
La rafle a bien eu lieu : les 16 et 17 juillet 1942, la « Rafle du Vél d’hiv’ » se prolonge jusque dans l’Aisne. Mais le Préfet de Châlons n’aura pas ses Juifs. Ils ont été transférés vers Drancy (et non vers « Nancy » comme l’a tapé une secrétaire mal informée, qui sait bien que c’est vers l’Est qu’ils seront envoyés »).
Le langage administratif froid de ces hauts fonctionnaires collaborateurs dissimule l’horreur de la tâche qu’ils sont en train d’accomplir : ainsi les Juifs à déporter deviennent sous leur plume les « personnes intéressées de ma région ».
11 — un flic cache des Juifs chez lui
Non seulement le policier soissonnais, Charles Létoffé, chargé des étrangers au Commissariat de Soissons, avertit la famille Glas de l’arrestation imminente, mais encore il prit le risque inouï de les cacher à son propre domicile !
Les Archives municipales gardent la trace de la révocation sans solde de ce policier, l’année suivante, sans motif indiqué.
On notera cependant une erreur manifeste et révélatrice dans cette attestation datant de 1953. Ce n’est pas la Gestapo qui effectua les arrestations du 17 juillet 1942, mais bel et bien la police française. C’est même à cause de cela que Charles Létoffé avait pu prévenir cette famille !
12 — une carte postale de Drancy
Voici la dernière carte envoyée de Drancy, la veille du départ pour l’Allemagne, par Charles Wajsfelner à Mme Salvage, leur voisine, la boulangère du quartier. Il y recommande son petit frère Maurice. Cette carte prouve assez la crédulité, l’innocence des milliers de petites gens sans défense, qui ne pouvaient imaginer que la déportation les conduirait à l’extermination : d’où une certaine passivité. Mais n’étaient-ils pas placés sous la sauvegarde d’agents de police français ? Et n’était-ce pas un timbre représentant la figure patriarcale du maréchal Pétain que Charles Wajsfelner devait coller sur sa carte ?
» Drancy, le 28-7-42
Mme Salvage
Je vous remercie très infiniment de tous ceux que vous nous avez donné le jour de notre départ. Nous avons été très touché et je vous remercie encore une fois. Demain matin nous partons, papa, maman, et moi vers une destination inconnue. Aussitôt que je pourrai écrire, je vous ferai savoir de mes nouvelles, aussitôt. Je vous demande maintenant un petit service, aidé en pain selon que vous pourrez ma tante, sa fille et Maurice. Nous vous rendrons tout ça un jour. Le jour que je rentrerai de nouveau chez nous. Je vous remercie encore une fois. Si cela ne vous dérange pas dites un bonjour de nous à Mme Cochet et sa famille, ainsi que les autres gens de notre rue. Je vous remercie encore une fois de tous ceux que vous pourrez faire pour ma tante, sa fille et mon petit frère. Je salue très cordialement votre famille en attendant de vous remerciez tout ça de près.
Charles «
13 — fouille à Drancy
Pauline Gochperg n’était pas juive. Son mari l’était. Il avait été arrêté par la police française lors de la rafle du 17 juillet 1942 et déporté par le convoi n°12 du 29 juillet 1942 et assassiné à Auschwitz. Sa femme resta seule avec ses deux enfants : Albert et Nelly. Elle accueillit aussi Maurice Wajsfelner dont les parents avaient été déportés en 1942.
Le 4 janvier 1944, la Gestapo arrive au 41, avenue de Coucy à Soissons. Elle vient arrêter les enfants juifs qui s’y trouvent : Albert Gochperg, né en 1935, n’a pas encore 9 ans ; sa petite sœur, Nelly, née en mars 1940, n’a pas encore 4 ans ; Maurice Wajsfelner a 10 ans.
La mère non-juive va accompagner ses enfants. On la retrouve au camp de Drancy, le 20 janvier 1944. Elle est fouillée à l’arrivée et on la dépouille des quelques francs qu’elle a sur elle : 330 F. comme en témoigne ce carnet de fouille.
14 — liste de déportés du convoi n°67
Extraits de la liste du convoi 67 du 3/2/1944 – Archives du Centre de Documentation Juive Contemporaine – Inédit
Après le carnet de fouille, la dernière trace de Pauline Gochperg, de ses deux enfants et du petit Maurice Wajsfelner, se trouve dans cette liste du convoi n°67, parti de Drancy le 3 février 1944. Au moment de leur entrée à Drancy, Pauline est encore accompagnée de ses enfants puisque les numéros 11805 lui est d’abord attribué, puis le 11806 à Albert (8 ans), puis le 11807 à la petite Nelly (3 ans). Maurice Wajsfelner (10 ans) n’est pas loin, qui se voit attribuer le 11809.
Le convoi s’ébranle le 3 février 1944. Les enfants sont-ils encore avec leur mère ? Un témoin, Guy Cohen, a relaté ces voyages vers Auschwitz et l’arrivée : Tous ces enfants chargés comme du mauvais bétail dans des camions, les cris, les hurlements qui fusaient au démarrage brusque des voitures, les petits qui appelaient « maman, maman ».
Le voyage a duré 3 interminables jours. A l’arrivée, le 6 février 1944, ils furent tous gazés, avec 982 autres personnes.
15 — le sauvetage de Marie-Claude Cahen
Dans le Soissonnais, il y eut aussi des « Justes ». Jeanne Cholet, employée du magasin des Cahen, parvint à prévenir le Lycée de la descente de la Gestapo chez les parents de la petite Marie-Claude Cahen (14 ans). Une chaîne de solidarité joua alors une course de vitesse avec la Gestapo. La directrice du Lycée de Jeunes Filles (Melle Mouton), des surveillantes, un masseur (M. Rémia), des amis soissonnais (Mme Bruneteaux et son fils, gendarme, M. Oger), un instituteur de Crécy-au-Mont (Eugène Bouchard) transportèrent ou hébergèrent la jeune fille.
Finalement, le mari de Jeanne, Henri Cholet, un ouvrier, prend contact avec la résistance locale (Raymonde Fiolet) pour obtenir de faux papiers, demande un congé à son patron et traverse la France, la petite à la main, pour la mettre en lieu sûr près de Chamonix.
16 — l’attente d’un retour qui ne viendra pas
Après la Libération, on attend le retour des déportés. Quelques-uns rentrent, des résistants surtout, dans un sale état. Mais les Juifs ? Peu à peu, l’horreur est dévoilée. En attendant, on a besoin de certificats provisoires, comme celui-ci qui concerne Rose LEWKOWICZ. Elle avait été arrêtée à Soissons, en même temps que son mari, par la police française lors de la rafle du 17 juillet 1942. Enceinte, elle est transférée à l’hôpital de Laon où elle accouche d’un enfant mort-né. Elle fut conduite à Drancy puis mise dans le convoi n°26 du 30 août 1942 et assassinée à Auschwitz où son mari l’avait précédé (convoi n° 12 du 29 juillet 1942, assassiné à Auschwitz le 13 août 1942).