Qui sont ces Français qui ont caché des Juifs ?
Sommaire
Nous étudierons ici un cas particulier, un record dans le sauvetage : celui des protestants des Cévennes et particulièrement du Chambon-sur-Lignon.
La Révocation de l’Edit de Nantes et la tradition rebelle des Cévennes
En 1685, le roi Louis XIV révoque (= annule) l’Edit de Nantes, une loi qui autorisait les protestants à célébrer leur culte. La religion protestante est donc interdite.
Dans certaines régions, les protestants refusent de ce convertir au catholicisme. Les Cévennes, région montagneuse du massif Central, est particulièrement rebelle. Le roi envoie des soldats, des dragons, qui vivent sur le pays (= les dragonnades) et des curés convertisseurs qui font l’appel des habitants lors de la messe dominicale.
Mais la révolte couve et des protestants se réunissent secrètement dans la montagne, « au désert » comme ils disent, pour des cérémonies interdites et des prêches enflammés.
Le 24 juillet 1702, dans un bourg des Cévennes, sur le bord du Tarn, le Pont-de-Monvert, une soixantaine de protestants délivrent des prisonniers et tuent leur geôlier, l’abbé du Chaila, un prêtre chargé de convertir les Cévenols, qui a concentré sur lui la rancœur accumulée depuis l’interdiction du protestantisme.
C’est le début de ce qui est un peu plus tard appelé la guerre des Camisards.
Cette révolte est menée par Jean Cavalier, un apprenti boulanger, qui réussit par deux fois à faire battre l’armée royale en 1702 et en 1704. Louis XIV fait envoyer des renforts. La région est noyée de soldats jusqu’à la défaite des derniers Camisards, appelés ainsi parce qu’il n’avaient comme uniforme que leur chemise.
Les Camisards seront exécutés, envoyés aux galères ou prennent le chemin de l’exil.
En 1710, tout est terminé et le protestantisme reste interdit jusqu’en 1787.
Longtemps il restera une tradition de révolte, de tolérance religieuse et d’accueil des pourchassés dans les Cévennes, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale…
5000 Juifs sauvés, principalement des enfants
Le Pasteur André Trocmé, désigné Juste parmi les Nations en 1971,
Il est difficile de décrire l’action du pasteur Trocmé et de sa femme Mgda (elle-même reconnue Juste parmi les Nations en 1984), tant elle fut continue et importante. Avec d’autres pasteurs et la population du Chambon-sur-Lignon, ce couple merveilleux a organisé l’hébergement et la survie de milliers de Juifs. Au-delà des actes concrets qu’il a accomplis, l’action du Pasteur Trocmé réside aussi dans l’encouragement spirituel et moral qu’il donnait à tous les habitants du Chambon afin d’aider les Juifs persécutés. Il mit en place des mécanismes d’évacuation des planques en cas de rafle. C’est d’ailleurs une arrestation qui a valu la déportation et la mort d’un des leurs, Daniel Trocmé, qui s’occupait lui aussi de sauver des enfants juifs.
Et lorsqu’il fut arrêté par la Gestapo, en 1943, André Trocmé refusa de signer un papier d’allégeance à Pétain, alors qu’il était pourtant menacé de demeurer en prison. Quelques mois plus tard, l’engagement du Pasteur et de la population étaient tels que le Pasteur Trocmé dut se cacher. Magda et André Trocmé, tous deux décédés, sont aujourd’hui, avec le village de Chambon-sur-Lignon, le symbole même de l’action des Justes.
Le cousin du pasteur Trocmé, Daniel Trocmé, l’une des 19 victimes de la rafle de la Maison des Roches. Daniel Trocmé est mort à Maïdanek en avril 1944.
Le Docteur Juliette Usach, elle-même réfugiée de la guerre civile espagnole, joua un rôle essentiel dans la survie des enfants juifs au Foyer La Guespy, au Chambon-sur-Lignon.
Témoignage : l’arrivée d’un jeune Juif au Chambon-sur-Lignon
L’arrivée au Chambon
Il faisait chaud, ce 17 août 42 !
Au bout de trois cents mètres, se traînant avec sa valise, Gustave avait remarqué plusieurs annonces de pensions dont les noms lui firent plutôt bonne impression : Les Genêts, Les Heures Claires, La Joyeuse Nichée, Chante Alouette, Les Airelles, Bel Horizon, Le Clos Joli, Le Colombier, Les Gerbiers, mais toujours pas de Pension Epervière.
Exténué, au bord de l’étouffement, il s’était arrêté sur un terrain vague recouvert d’herbe d’où il découvrit à ses pieds le Chambon dans presque toute son étendue… à vrai dire assez restreinte. Il constata que le village, au centre duquel se distinguaient, presque à côté l’un de l’autre, le clocher de l’église catholique et celui du temple protestant, était entouré à de proches distances de nombreuses maisons souvent dissimulées dans des bouquets d’arbres. Plus loin, des fermes sombres et au-delà, un vaste plateau aboutissant à une montagne qui ressemblait étonnamment à un petit Vésuve aplati. Tout de suite il s’éprit de ses pentes douces, pleines de charme.
Pour mieux s’y reconnaître, Gustave sortit de sa valise un guide dont sa mère lui avait fait cadeau la veille de son départ.
Il apprit ainsi que le plateau s’appelait en fait « la Montagne », qu’il se situait à environ 1 000 mètres d’altitude, « en bordure orientale du Velay, à la limite du haut Vivarais, région rattachée au Massif Central ».
Il rêva en apprenant que, des hauteurs bordant ce plateau, on pouvait admirer les sites les plus divers, parfois, quand il faisait beau du côté des Alpes, le massif du Mont-Blanc, au sud, dans la direction de l’Ardèche, le Mezenc et le Gerbier-de-Jonc… Le Gerbier-de-Jonc, il connaissait comme tout écolier : la Loire naît à ses pieds. Le sommet le plus proche du Chambon — le Vésuve aplati — s’appelait le Lizieux. Quant au Lignon, il en devinait à certains endroits l’eau bleue se frayant un passage entre les rochers.
Satisfait de ces quelques précisions et ragaillardi par sa découverte du Lizieux, Gustave avait repris sa route… Au bout de dix minutes, il finit par contrer la pancarte annonçant la Pension Epervière. Sur la droite, il aperçut une demeure grise au toit rouge, de construction banale, et dont le genre quelque peu austère n’allait guère avec le nom. Il changea d’avis dès l’entrée, grâce au sourire d’une jeune femme blonde, presque rousse, pleine d’entrain, qui lui lança : « Ah ! voici Gustave ».
Elle semblait l’attendre avec impatience, et il s’en voulut de s’être assis en route pour regarder le paysage.
— Excusez-moi, mais il fait chaud, et avec cette valise, madame…
— Mademoiselle, dit-elle, mademoiselle Odile Reboul. Je suis la directrice de la pension.
Elle lui retira la valise des mains et, lui indiquant l’escalier à gauche…
— Suivez-moi, le mieux est que je vous conduise sans attendre à votre chambre… enfin, précisa-t-elle, la chambre que vous partagez avec quelques autres garçons. Vous verrez, ils sont très gentils et ça se passera tout à fait bien. […]
Cinq garçons : trois Juifs, un parpaillot et un Espagnol
Cinq lits étaient disposés le long des murs. Au centre de la chambre, autour d’une grande table carrée, quatre garçons qui se précipitèrent pour arracher la valise des mains de la « directrice ».
Extrait de Philippe Boegner, « Ici, on a aimé les juifs », Jean-Claude Lattès, 1982
— Je vous présente votre nouveau camarade, lança-t-elle sur un ton joyeux qui voulait dire : nul doute que vous vous entendrez au mieux… et disparut presque aussitôt après un sourire qui se voulait réconfortant.
Gustave paraissant surpris d’avoir été abandonné aussi vite à ses nouveaux compagnons, sans la moindre présentation pour faciliter la prise de contact, l’un des garçons, le plus grand des quatre, cheveux châtains frisés, lunettes dorées, l’air bon élève, lui dit avec un accent russe :
— Ne t’étonne pas, ici on est merveilleusement reçu, mais on ne présente personne à personne… et il ne faut jamais poser une question… Ainsi, dans cette maison nous sommes environ une vingtaine et bien sûr nous ne connaissons pas les noms de tous nos camarades, souvent seulement leurs prénoms… c’est comme cela et personne ne cherche à savoir…
Ces derniers mots avaient été soulignés comme une sorte d’avertissement :
— Ne le prends pas mal, lança le grand frisé, mais il vaut mieux que tu le saches tout de suite… Aucune question à personne, attends qu’on te parle !… Cela dit, entre nous ici, à l’intérieur de ces quatre murs, pas de secrets : moi je m’appelle Nicolas Kouritsky, je suis un juif russe, mes parents se sont enfuis de Russie en 1917… j’ai dix-neuf ans… Lui — il désigna un blond très fin de visage, l’air d’un artiste — s’appelle Karl Blumenthal, il est juif autrichien, venu se réfugier à Toulouse au lendemain de l’AnschIuss en 1938, il a dix-huit ans et demi… le petit rouquin à côté de toi s’appelle Hubert Metzger, c’est un réfugié alsacien qui a fui devant l’avance allemande en 1940, un vrai parpaillot, plaisanta-t-il, seize ans, très fort en mathématiques… Quant à « l’olive noire » qui se trouve à ta gauche, inutile de te préciser qu’il est espagnol, ses parents ont été tués pendant un bombardement de Barcelone vers la fin de la guerre civile, il s’appelle Mario Santana, il a dix-sept ans. Maintenant, termina le Russe, c’est à toi de nous dire…
Mis en confiance par un accueil aussi direct, Gustave déclina son identité sobrement. Il ajouta seulement :
— Si je comprends bien, sur cinq nous sommes trois juifs, un protestant et — se tournant vers Mario Santana — l’Espagnol est sûrement catholique…
— Tu as bien deviné, fit celui-ci, mais je suis avant tout un républicain, et le jour n’est pas loin où l’on se débarrassera de Franco… Arriba Espana !
Il leva le poing et ses yeux noirs brillèrent d’un éclat vengeur. […]
Bibliographie, filmographie :
- Philippe Boegner, Ici on a aimé les Juifs, J.-C. Lattès, 1982
- La colline aux mille enfants, film
- Les Camisards, René Allio, film.