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Le reveil des survivants

Dans ce texte, Serge Smulevic évoque le sentiment de liberté, après sa Libération.

LE  REVEIL  DES  SURVIVANTS

Je me suis réveillé ce matin-là dans un lit blanc, dans des draps blancs, entouré de lits blancs dans une grande salle d’hôpital toute blanche.
Tout était aussi blanc que ma nouvelle vie.
Je me suis étiré et j’ai ressent un bien-être dans mon esprit et dans mon corps libéré de toutes les souffrances que j’avais endurées jusqu’à hier.
Ne plus devoir marcher au pas tous les jours au son de cette musique obsédante, ne plus courber l’échine sous les coups des Capos, ne plus avoir peur de mourir chaque fois qu’un officier SS entrait dans le block, accompagné d’un médecin SS en vue d’une sélection pour
la chambre à gaz, ne plus sentir chaque jour l’odeur âcre des cendres, ne plus avoir peur de mourir de faim, ne plus être qu’un numéro…
Le peu de forces que j’avais encore m’a abandonné hier à la libération du camp.
Oui, j’arrive à me rendre compte  que l’irréalisable est arrivé.
Que je suis un homme LIBRE.
Jamais jusqu’à ce jour je n’avais éprouvé une telle sensation. J’en suis totalement imprégné, et même aujourd’hui, cinquante sept ans plus tard je n’ai jamais connu une telle sensation de bonheur et de bien-être.
Je suis malade, à bout de forces, j’arrive à peine à penser que je vais peut-être revoir des membres de ma famille, je n’ai qu’une pensée dans ma tête et elle ne me quitte pas…je suis
un homme LIBRE.
Jamais au camp, en évoquant cette possibilité, je n’aurais imaginé qu’elle puisse avoir une telle importance.
Etre libre, faire ce qu’on veut, aller où l’on veut, pouvoir décider, pouvoir aimer, agir selon sa volonté…le bonheur total.
Je crois que même les nazis ne s’étaient pas rendus compte de l’importance de la privation de la liberté tellement leur but était de nous détruire.
Ce matin je commence ma vie d’homme libre, cloué dans un lit, mais peu importe la suite, j’aurais quand même connu la sensation d’être à nouveau libre.
Je suis malade, mais s’ils ont réussi à me libérer ils réussiront à me guérir.
Tout m’est à nouveau permis puisque je suis un homme libre.
On va m’apporter à manger dans mon lit.
Mon voisin me regarde en souriant et je sais pourquoi il sourit.
Parce qu’il est libre comme moi, comme tous ceux qui nous entourent.
Je m’appelle à nouveau Serge Szmulewicz.

Je suis un homme libre !

Serge Smulevic – 9 novembre 2002