Laurie, du Collège Honoré de Balzac d’Issoudun, me demande des portraits de résistants juifs. En voici quelques-uns avec aussi la célèbre chanson d’Aragon : « L’Affiche Rouge » Elodie, du Collège Louis Aragon de Jarny (54), complète cette question en me demandant : « J’aimerai savoir quels ont été les mouvements de résistance intérieure juive en France ? »
L’affiche Rouge
Vous n’aviez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants.
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des PartisansVous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passantsNul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différentsTout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemandAdieu la peine et le plaisir Adieu les roses,
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui va demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en ErivanUn grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfantIls étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Louis Aragon, Le Roman Inachevé, Gallimard, 1955
Vingt et trois qui donnaient leur coeur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient La France en s’abattant
Musique de Léo Ferré, 1959
L’affiche rouge, qui inspira à Aragon son célèbre poème, présente, dans sa partie supérieure, les visages des dix partisans. Les traces de trois mois de tortures n’arrivaient pas à effacer l’expression de fierté dans leurs yeux.
Voici les noms des partisans figurant sur l’affiche et les « légendes »
accompagnant la photo de chacun d’eux :
Fingercwajg, juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements ; Boczow, juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats; Witchitz, juif polonais, 15 attentats; Wajsbrot, juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements, Elek, juif hongrois, 8 déraillements, Grzywacz, juif polonais, 2 attentats, Fontanot, communiste italien, 12 attentats; Rayman, juif polonais, 13 attentats; Alfonso, Espagnol rouge, 7 attentats; Manouchian. Arménien, chef de la bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés.(A Manouchian on attribua toutes les actions de son détachement.)
Sous les photographies des « terroristes » figurent, à côté d’images de catastrophes ferroviaires et d’un arsenal d’armes des partisans, des corps criblés de balles : les « victimes » des « terroristes ». Le texte ne comporte que quelques mots : en haut : « DES LIBERATEURS? »,
en bas : « La Libération ! par l’armée du crime ».
Les principaux mouvements de résistance juive en France :
- L’O.C.J. (Organisation Juive de Combat) formée à Toulouse en 1941. Ses cadres viennent des Jeunesses Sionistes et des Eclaireurs Israélites de France. Elle fabrique de faux papiers, puis passe à l’action militaire. Son réseau s’étend progressivement à toute la zone Sud. Une section de sauvetage tente de sauver les enfants en les cachant sous de fausses identités ou en les faisant passer en Suisse. Au début de 1943, le premier groupe de maquisards juifs s’organise. En novembre 1943, un groupe de jeunes Juifs monte au maquis du Roc (Près de Saint-Jean-de-Jeaume). Un maquiq juif est créé en janvier 1944 dans le Tarn (maquis du Bic). Deux autres maquis sont organisés dan la Montagne Noire, mais ils dépendent de l’A.S. (Armée Secrète). Ces maquis sont très actifs et pratiquent sabotages et embuscades. A l’annonce du débarquement, leurs activités redoublent. On raconte qu’après l’explosion d’un train, le maquis fait des prisonniers allemands. Au moment où ces derniers passent, chacun des résistants leur dit « Ich bin Jude » (Je suis Juif).
- La M.O.I (Main d’Oeuvre Immigrée) est le secteur du Parti Communiste qui regroupe les résistants d’origine étrangère. Ce sont ceux de l’Affiche Rouge (voir ci-dessus). Elle comporte une sous-section juive très active. Elle fait paraître un journal clandestin en yiddish (langue parlée par les Juifs de Pologne et de Russie) : « Unzert Wort » (Notre parole). A partir de juin 1941 (attaque de Hitler contre l’URSS), elle se laznce dans l’action armée, en plein Paris. Elle lutte aussi contre les collaborateurs de l’UGIF. Elle aura de sérieuses pertes et son réseau principal sera démantelé en 1943. Les héros de l’Affiche Rouge seront exécutés au printemps 1944. La direction nationale de la section juive quitte alors Paris pour Lyon. Pour reconstituer le mouvement, une organisation plus large est créée : l’U.J.R.E. (Union des Juifs pour le Résistance et l’Entraide) qui publie un journal clandestin, Droit et Liberté. En 1944, les militants restants de la MOI (surtout de la banlieue) se constituent en groupes militaires de la FTP-MOI (Francs Tireurs et Partisans) et participent aux combats de la Libération de Paris.
Voir aussi la page sur La résistance juive et le sauvetage des enfants
Pour faire cette page, j’ai beaucoup utilisé le livre de Jacques Ravine, La Résistance organisée des Juifs en France (1940-1944), Julliard, 1973,
ainsi que Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le sang de l’étranger, Les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Fayard, 1989,
Lucien Lazare, La résistance juive en France, Stock, 1987,
Marc Jarblum, La lutte des Juifs contre les Nazis, Editions Réalités, Paris, 1945