Diane, collégienne d’Aumale (60), me demande « des informations sur la Nuit de Cristal ».
Sommaire
Le prétexte : l’assassinat d’un conseiller de l’ambassade d’Allemagne à Paris.
Le 7 novembre 1938, un jeune Juif de 17 ans, Herschel Grynszpan, attend à la porte de l’ambassade d’Allemagne à Paris avec un revolver. Ses parents ont été persécutés en Allemagne. Il veut les venger et tire sur un conseiller de l’ambassade nazie, Von Rath.
Une opération organisée
C’était l’occasion qu’attendaient les nazis pour mener une opération de grande envergure contre les Juifs. A la demande d’Hitler, c’est Goebbels qui pousse les dirigeants du Parti Nazi et les S.A. à attaquer les Juifs. Heydrich organise les violences qui doivent viser les magasins juifs et les lieux de culte juifs
Rapport d’une brigade S.A. de Darmstadt — 11 novembre 1938
Le 10.11.1938, à 3 heures, je reçus l’ordre suivant :
« Sur ordre du chef de groupe, il faut faire sauter ou incendier immédiatement dans la brigade 50 l’ensemble des synagogues juives.
Les maisons voisines qui sont habitées par une population aryenne ne doivent pas être endommagées. L’action doit être menée en civil. Les mutineries et les pillages sont proscrits.
La notification d’exécution doit parvenir pour 8 heures 30 au chef de brigade ou à ses services. »
(Suit un rapport circonstancié où sont répertoriées les synagogues ayant été incendiées ou détruites)
Les ordres prescrivent que les S.A. doivent être en civil : il s’agit de faire croire que c’est un mouvement spontané de la population furieuse contre les Juifs. En fait, les réactions de la population furent peu favorables : les Allemands n’aiment pas qu’on s’en prennent à la propriété d’autrui ; les incendies choquèrent aussi une partie de la population.
La destruction des synagogues
Au bilan 280 synagogues furent détruites
Affichette au centre de la photo :
Rache für Mord an Vom Rath
Tod den international.
Juden und Freimaurem!
Vengeance pour l’assassinat de Von Rath
mort à cause de l’Internationale
des Juifs et des Francs-Maçons
La destruction des magasins juifs
C’est à cause des débris de verre (vitrines des magasins, vitraux des synagogues) que les nazis donnèrent ce nom si « poétique » de Kristallnacht (Nuit de Cristal) à cet épisode de violence raciste.
Un témoignage
Une jeune fille juive allemande témoigne :
Nous nous étions couchés tôt. Moi et ma famille, nous dormions tous les quatre quand nous avons entendu frapper à la porte d’entrée. Frapper violemment. Mon père a dévalé l’escalier, il a ouvert la porte devant laquelle se tenaient deux nazis en uniforme brun. « Dis à ta famille de s’habiller rapidement, vous venez avec nous. Dépêchez-vous ! » Nous n’avions pas le choix. Nous nous sommes habillés en vitesse, et les deux soldats nous ont conduits dans une salle d’une caserne du centre-ville. En entrant, nous avons réalisé que tous les Juifs de la ville avaient été raflés et emmenés dans cette salle. Personne ne savait pourquoi. Personne ne savait ce qui allait se passer. Ils nous ont laissés sur nos chaises pendant des heures, des heures d’affilée, jusqu’à ce que finalement ils séparent les femmes des hommes et qu’ils emmènent les hommes. Nous ne savions pas où ils allaient, Ils ont emmené mon père et mon frère.
Golly D., 16 ans pendant la Nuit de Cristal,
Au matin, ma mère et moi, et toutes les femmes avons été autorisées à rentrer chez nous. C’est là que nous avons découvert ce qui s’était passé pendant la nuit, pendant que nous étions enfermées dans la salle. Les Chemises brunes avaient brisé toutes les vitrines des commerces juifs, forcé les maisons et les appartements juifs, cassant tout ce qu’ils pouvaient. L’affaire de mon père fut dévastée cette nuit-là. Et évidemment notre synagogue fut incendiée.
Le jour d’après, sans me douter de rien, je suis retournée à l’école, c’était le lendemain de la Kristallnacht. (J’)ai monté l’escalier pour rejoindre ma classe et j’ai croisé par hasard mon professeur principal, M. Koch, qui s’est approché et m’a dit, l’air vraiment attristé : « Mlle Golly, je suis profondément désolé, mais les Juifs ne doivent plus venir en cours. » Je n’avais pas d’autre choix que de m’en aller. Je suis rentrée à la maison la tête baissée, tous mes projets d’avenir venaient de voler en éclats.
Le lendemain, on a sonné à la porte, une de mes camarades de classe se tenait sur le seuil. Je peux vous dire qu’à l’époque ces contacts avec des Juifs étaient tabous – plus que tabous. Cette pure Aryenne, ma camarade, issue d’une des familles les plus puissantes de la ville – son père était le plus célèbre avocat de Brême – est venue… chez nous, elle a monté l’escalier, elle n’avait qu’un seul message à nous délivrer. Au nom de sa famille, elle tenait à exprimer à quel point ils se sentaient gênés et honteux à propos de ce qui s’était passé la nuit précédente, la Kristallnacht, la nuit d’avant. Je n’ai jamais oublié ce geste, d’ailleurs nous sommes toujours en contact. Nous nous écrivons encore. Nous nous revoyons chaque fois que je retourne chez moi à Brême.
à Brême, en Allemagne
cité dans Témoigner, Paroles de la Shoah, Flammarion, 2000
Les arrestations
La Nuit de Cristal est aussi la première vague d’arrestations. 20.000 à 30.000 Juifs sont arrêtés et déportés dans les camps de concentration existants (Dachau, Sachsenhausen…). 91 personnes trouvent la mort au cours de la nuit de violences.
En Autriche, la Nuit de Cristal est particulièrement violente. 6500 Juifs sont arrêtés par la Gestapo et 3000 déportés à Dachau.
Le bilan
7000 magasins furent détruits, toutes les synagogues mais aussi des locaux communautaires, des cimetières juifs, des maisons d’habitation furent saccagés.
Les suites
Hitler et Goering profitent de l’occasion pour lancer une nouvelle série de mesures antijuives. Tout d’abord, une amende d’un milliard de marks est imposée aux Juifs « pour payer les dégâts » !
Ensuite, commence un vaste plan d’aryanisation de toutes les entreprises appartenant à des Juifs en Allemagne. Le 12 novembre 1938, tous les commerces de détail reçurent l’ordre de fermer avant le 31 décembre. Puis le 23 novembre, une circulaire signée Brinkmann, secrétaire d’Etat à l’Economie, ordonne la liquidation de tous le commerce de détail juif : les entreprises sont dissoutes, leurs stocks doivent être remis au groupement professionnel de leur branche d’activité. Les artisans sont rayés des registres professionnels et n’ont plus le droit d’exercer.
Le 3 décembre 1938, Funk et Frick étendent par décret l’aryanisation aux entreprises industrielles et aux possessions immobilières. Les Juifs sont alors totalement dépossédés.
Certains Juifs peuvent encore fuir l’Allemagne. Le but avoué des nazis est de vider l’Allemagne de ses Juifs.
Voir aussi : Les Juifs allemands face à la déportation