L’artiste Serge Smulevic, rescapé d’Auschwitz, évoque les couleurs du camp.
J’ai souvent constaté que des tableaux ou dessins concernant les camps et la déportation ont souvent été traduits par des couleurs grises et tristes. Les artistes, qu’ils aient été déportés ou non, établissaient toujours une relation de cause à effet entre la déportation et la grisaille. Je dois les détromper. Tous ceux qui allaient travailler hors des camps ont toujours eu l’occasion de traverser ou de longer des champs. Dès le printemps, les champs se garnissaient de plantes diverses, et en été nous pouvions admirer les coquelicots rouges qui nous rappelaient tant de souvenirs. Que ce soient ces coquelicots, des arbustes ou n’importe quelle autre végétation, nous avions de quoi faire vagabonder notre imagination et non seulement penser au passé mais surtout à l’avenir, et on ne peut se rendre compte à quel point ces fleurs ou arbres nous ont donné de l’espoir, et qu’eux aussi nous ont aidé à vivre.
Serge Smulevic,
Je pense souvent à cela et j’essaye de me rappeler les différentes sortes de plantes que nous avons cueillies le long des routes,au risque de recevoir une bonne raclée, car il était également interdit, « streng verboten » de se nourrir d’herbes ou de plantes parce que nous attrapions vite la diarrhée en les mangeant. Par contre si on avait la chance de trouver du crottin de cheval, on le ramassait et une fois rentrés au camp on le triait pour y trouver l’avoine que le cheval avait mangé. Et on se débrouillait pour le faire cuire chez quelqu’un qui avait la possibilité de le faire, et on obtenait ainsi de « magnifiques » flocons d’avoine. Quand je pense qu’aujourd’hui, il m’arrive de faire la grimace devant un plat de carottes… Tu me diras que ce sont de petits détails, mais cela faisait partie du quotidien. Bien sûr il y avait ceux pour qui toutes ces choses avaient perdu tout sens.
Et tous les autres qui y étaient sensibles n’osaient pas en parler de peur du ridicule, mais on décelait très bien dans leurs yeux la lueur d’espoir qu’un coquelicot tout rouge pouvait leur donner.
dans un courrier qu’il m’a adressé,
le 3 juillet 2002