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L’itinéraire de Jacques Sztykgold

de Varsovie à la clandestinité dans le Lyonnais

Les documents personnels sont une source importante pour suivre ces itinéraires chaotiques des Juifs qui ont rejoint la France.

Grâce aux documents confiés par la famille Sztykgold, nous pouvons suivre ici l’itinéraire d’immigration, d’installation, d’intégration puis de mise à l’écart et d’entrée dans la clandestinité d’une famille juive ordinaire.

1. Le départ de Pologne, dans les années vingt

L’aventure de l’intégration dans la société française commence.

2. Le permis de séjour : le début d’une intégration

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Il existe dans les années vingt une « carte d’identité d’étranger ».
Une telle carte est délivrée à Moszek Sztykgold par le Service des Etrangers de la Préfecture de Police de Paris.
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La carte est délivrée en décembre 1927, après la seconde arrivée en France du père de Jacques Sztykgold, pour une durée d’un an.
On y apprend sa profession : il est fourreur.

Cette fois, la famille venue de Pologne est présente. L’épouse, Chawa Neumann et les deux enfants : Mala, qui a alors 10 ans et Jacob, qui en a 7. Jacob ne s’appelle pas encore Jacques. Le prénom ne sera « francisé » que plus tard.

Sur la page précédente, la famille Sztykgold a déclaré comme adresse le 90, rue Mouffetard dans le quartier latin. En 1928, la famille déménage et s’installe quelques maisons plu loin, au 74 de la même rue. Puis, la famille change de quartier pour habiter le XIXe arrondissement, rue Eugène Jumin. Tous ces changements de domicile sont signalés au Commissariat de Police.

Moszek Sztykgold décède quelques mois plus tard. Chawa va élever d’abord seule ses deux enfants, puis se remariera.

3. La naturalisation, résultat d’une intégration réussie

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Le 23 juin 1939, Lipman-Jacob (Jacques) Sztykgold est naturalisé français.

4. Le début de la guerre et les premières mesures antisémites

Jacob (Jacques) a repris le métier de fourreur de son père.
On entre alors dans la guerre. Jacques Sztykgold est mobilisé tardivement et ne peut rejoindre son unité, en pleine débâcle.


Le 22 juillet 1940, l’une des toutes premières mesures du gouvernement de Vichy consiste à réviser toutes les naturalisations effectuées depuis la loi du 10 août 1927. Jacques Sztykgold perd donc la nationalité française. Une propagande allemande en zone occupée et française en zone « libre » dénonce les Juifs comme les responsables des malheurs du pays.

Le 27 septembre 1940, une ordonnance allemande prescrit en zone occupée le recensement jusqu’au 20 octobre des Juifs dont la définition est ainsi précisée :

« § 1 – Sont reconnus comme juifs ceux qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive, ou qui ont plus de deux grands-parents (grands-pères et grands-mères) juifs.
Sont considérés comme juifs les grands-parents qui appartiennent ou appartenaient à la religion juive.
§ 2 – Il est interdit aux Juifs qui ont fui la zone occupée d’y retourner
§ 3 – Toute personne juive devra se présenter jusqu’au 20 octobre 1940 auprès du sous-préfet de son arrondissement, dans lequel elle a son domicile ou sa résidence habituelle, pour se faire inscrire sur un registre spécial. La déclaration du chef de famille sera valable pour toute la famille.
§ 4 – Tout commerce, dont le propriétaire ou le détenteur est juif, devra être désigné comme « Entreprise juive » par une affiche spéciale en langues allemande et française jusqu’au 31 octobre 1940.
§ 5 – Les dirigeants des communautés israélites seront tenus de fournir, sur demande des autorités françaises, toutes les justifications et les documentations nécessaires pour l’application de la présente ordonnance
§ 6 – Les contraventions à la présente ordonnance seront punies d’emprisonnement et d’amende ou d’une de ces deux peines. La confiscation des biens pourra être prononcée. »

Respectueux des lois françaises, Jacques Sztykgold va se faire recenser. On lui remet un reçu :

recensement

Jacob-Lipman Sztykgold (dit Jacques) est donc recensé. Le tampon « Juif » ne tardera pas à être appliqué sur sa carte d’identité.


On voit combien la collaboration a commencé tôt, bien avant la célèbre entrevue de Montoire entre Pétain et Hitler : l’ordonnance est allemande, mais c’est la Préfecture de police de Paris qui l’applique. Le but est clairement affiché : il s’agit de « mesures contre les Juifs ».

5. L’entrée dans la clandestinité

La famille Sztykgold sent que les choses deviennent difficiles à Paris, et, à une date inconnue, ils franchissent la ligne de démarcation et se réfugient dans une région qu’ils connaissent déjà, entre Lyon et Saint-Etienne. C’est dans cette région, proche des montagnes du Forez, que Jacques Sztygold rencontrera sa future femme, qui se cache, elle aussi.
Mais il faut désormais une fausse identité. Les cartes d’identité, à l’époque, s’achètent chez les buralistes et on doit les faire remplir dans les mairies. Il faut donc trouver une complicité auprès d’un ou d’une secrétaire de mairie.

Voici quelques fausses cartes de la famille :

Fausse identité

  1. LEFEBVRE
  2. Jacques
  3. Profession : « fourreur »
  4. Né le 24 novembre 1915
  5. Né à Toul (Meurthe-et-Moselle)
  6. Nationalité  française
  7. Domicile : Givors

Vraie identité

  1. SZTYKGOLD
  2. Lipman-Jacob, mais le prénom usuel était bien celui de Jacques
  3. C’est bien sa profession. Etait-ce bien prudent de conserver une profession aussi typiquement juive ? La question a dû se poser pour lui.
  4. C’est bien le 24 novembre mais 1920. Jacques Sztykgold se vieillit de 5 ans
  5. Jacques S. est né à Varsovie. La ville de Toul n’a pas été choisie au hasard. Une grande partie de l’Etat-Civil de Toul a été détruit au début de la guerre, dans cette ville située non loin de la frontière.
  6. Naturalisé en 1939, J. Sztykgold s’est vu retirer sa nationalité française en juillet 1940.
  7. Givors se trouve au Sud de Lyon. Y a-t-il eu la complicité de quelqu’un à la mairie pour obtenir cette carte. ? Ou bien les cachets ont-ils été imités par un faussaire ?

Fausse identité

  1. BRIDOUX
  2. Marie-Blanche
  3. Née le 10 juillet 1886
  4. Née à Lens (Pas-de-Calais)
  5. Signes Particuliers : sourde
  6. Domicile : Figeac

Vraie identité

  1. NAJMAN épouse WAJNSZTADT. Le nom de « BRIDOUX » était celui d’un ancien professeur de comptabilité de Jacques Sztykgold !
  2. Chawa
  3. Elle est née le 18-30 juin 1889. Elle s’est vieillie de 3 ans.
  4. Comme Toul, la ville de Lens a vu son Etat-Civil détruit en mai-juin 1940.
  5. Agée de près de 30 ans quand elle est arrivée en France, la mère de Jacques Sztykgold parlait le français avec un fort accent yiddish qui l’aurait fait reconnaître.
  6. Figeac se trouve dans le Lot, à 400 km de la région stéphanoise. La mère de Jacques Sztykgold y a-t-elle réelllement résidé ? Rien n’est moins sûr.

NOTE TECHNIQUE

  • Les tampons semblent un peu trop « nets » pour ne pas être des faux.
  • Le procédé de réalisation consiste à dessiner sur papier les tampons avec une encre particulière, une encre à polycopie. Le papier spécial est lisse et l’encre n’y pénètre pas. Puis on plaque ce dessin sur une gélatine qui servait alors pour réaliser des copies. La gélatine qu’on trouvait dans des magasins spécialisés, est dans un cadre rigide, parfois muni d’un rouleau. On applique la fausse carte sur cette gélatine, en veillant bien à ce que cela recouvre en partie la  photo, pour imprimer le tampon.
  • On pouvait aussi récupérer une vraie carte d’identité et la « laver » avec une solution d’un tiers d’eau de javel pour deux tiers d’eau. On remplaçait alors le nom ou les mentions qu’on voulait modifier. Il restait à changer la photo en reconstituant une partie du cachet.
  • Ces cartes d’identité avaient un gros inconvénient : elles résistaient à un examen superficiel, mais si la personne était arrêtée, emmenée dans un commissariat, la police vérifiait par un coup de téléphone si l’inscription de la carte était bien faite dans la mairie censée l’avoir délivrée. Si le nom ne correspondait pas ou si le numéro d’inscription était faux, l’authenticité de la carte « tombait ».

(d’après l’avis d’expert de Serge Smulevic, ancien résistant, fabriquant de faux papiers , déporté ensuite à Auschwitz)

Fausse carte d'identité de la future épouse de Jacques Sztykgold.
  • Fausse carte d’identité de la future épouse de Jacques Sztykgold.
  • Réfugiée dans cette région de Saint-Etienne-Lyon, elle y rencontrera Jacques Sztykgold.
  • Cette fois, c’est la mairie de Villeurbanne qui a permis son établissement. Les tampons ont-ils été volés ou imités ?
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Rares photos, petites photos, rapidement prises sur un bord de route

6.  Solidarités juives et maquis de la fin de la guerre

Jacques Sztykgold gardait précieusement ce certificat d’appartenance à la résistance. Pourtant, il n’en a jamais parlé après la guerre, ni à son entourage, ni à ses enfants. La période de l’occupation était un sujet tabou chez les Sztykgold : il fallait penser à l’avenir, ouvrir un magasin pour les parents, penser aux études pour les enfants. La découverte de cette aventure s’est faite tout récemment, en 2004.


Voici le document : un certificat d’appartenance à un groupe de résistance juive, délivré dès la Libération, en septembre 1944.

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On se doute que pour survivre dans la clandestinité, il faut des contacts avec des réseaux. D’abord pour trouver les faux papiers, puis pour échapper aux rafles. Dans les monts du Forez, des groupes actifs de résistants sont à l’oeuvre.


Parmi eux, l’U.J.J (Union des Jeunes Juifs), qui sont, en région lyonnaise, rattachés aux FTP (Francs Tireurs et Partisans).

L’U.J.J.     

L’U.J.J. (Union des Jeunes Juifs) a été formée à Lyon à l’automne 1941. Parmi ses premiers membres, on comptait Simon Fried (guillotiné), Fred (tombé dans les combats de la Libération) Francis Chapochnik, Gaby Szulewicz et Gilles Najman. Ses membres se recrutaient principalement dans les familles de Juifs immigrés, réfugés de la zone Nord et de Paris. L’U.J.J. avait pour but en 1942 de former ces jeunes pour la lutte contre l’occupant : solidarité, propagande (en particulier contre la relève et le STO), actes de sabotage et actions armées. Leur journal illégal « Le Combat des Jeunes » paraissait en langue française. La direction de l’U.J.J. était située à Lyon et son activité s’étendait jusqu’à Saint-Etienne.
     En 1943, les F.T.P.-M.O.I créérent des groupes de combat dans le Sud, à l’imitation des groupes parisiens (Groupe Manouchian de l’Affiche Rouge). La plupart des jeunes de l’U.J.J. rejoignirent, en région lyonnaise, le groupe F.T.P. « Carmagnole » formé ainsi et dirigé conjointement par d’anciens des Brigades internationales Roman Krakus et Isi Tcharnecki et de jeunes dirigeants de l’U.J.J. : Fred, Simon Fried et Francis Chapochnik. La période des attentats dans Lyon commença.
     Plus tard, la « Carmagole » de Lyon forma les maquis de Saint-Pierre-la-Plaude, d’Useran, de Sainte-Catherine et du Col-de-Brosse, à quinze ou vingt kilomètres de Lyon.

d’après Jacques Ravine, La résistance organisée des Juifs de France (1940-1944), Julliard, 1973

Il n’est pas certain que Jacques Sztykgold ait participé, les armes à la main, à des combats. Il était, en tout cas, reconnu par ses camarades de l’U.J.J. comme un résistant.