À la croisée des chemins
par l’Association Mémoire-Yzkor-Morbihan
Sommaire
Un peu d’histoire
Les Juifs n’ont jamais été nombreux dans ce département. La première mention de leur présence est faite lors d’un Concile tenu à Vannes en l’an 465. Une rue de la Juiverie existait à Vannes au Moyen-Age, ce qui prouverait l’existence d’une petite communauté qui, hélas, n’a pas laissé d’autres traces tangibles.
Les historiens nous apprennent qu’après la fête de Pâques 1236, suite à l’exaltation religieuse favorisée par les Croisades, les biens des Juifs de Bretagne furent spoliés ou détruits et des massacres furent commis en diverses localités de la province. En avril 1240, le Duc Jean 1er décide d’annuler toutes les dettes contractées par les chrétiens envers les Juifs et d’expulser ces derniers, tout en s’appropriant leurs biens. Les seigneurs et les prélats de l’Eglise s’engagent de plus à ne jamais accepter de Juifs sur leurs terres. A cet édit d’expulsion, il sera ajouté ces quelques mots, révélateurs des mentalités de l’époque « personne ne sera accusé ou jugé pour avoir tué un Juif » !
Il faudra attendre près de cinq siècles pour voir quelques Juifs s’installer à nouveau en Bretagne mais toujours en très petit nombre. Le recensement de population effectué en 1808 indique pour l’ensemble des cinq départements bretons (Finistère, Côtes-d’Armor, Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Morbihan) seulement 33 personnes de confession juive ! En 1872, le dernier recensement dans lequel est fait mention de la religion des citoyens, le Morbihan n’abrite que 145 protestants et 23 juifs, sur une population totale de 490 352 habitants ! A la même époque, on estimait à environ 42.000 le nombre de Juifs vivant en France.
Renaissance de l’antisémitisme ?
On l’a déjà constaté, une vive animosité envers les Juifs avait été entretenue par l’Eglise dès le 5° siècle, culminant avec l’expulsion au 13° siècle. Ces sentiments antisémites, longtemps mis « en veilleuse » du fait de l’absence de Juifs dans la région, renaissent à la fin du 19° siècle avec l’Affaire Dreyfus. L’arrestation du capitaine Dreyfus, juif français, le 15 octobre 1894, pour des motifs de haute trahison, va entraîner une quasi-révolution dans toute la France, déchaînant les passions et la haine antisémite.
Des manifestations violentes rassemblant plusieurs milliers de personnes sont organisées à Nantes en janvier 1898. Des magasins juifs et la synagogue sont endommagés tandis que retentissent dans les rues les cris « Mort aux Juifs ! »
Des démonstrations du même genre se dérouleront dans plusieurs villes du Morbihan alors qu’il aurait été impossible, dans la plupart des cas, d’y trouver un seul Juif !
La noblesse locale et l’Église participent activement à ce mouvement qui réclame la condamnation à mort du capitaine Dreyfus et l’exclusion des Juifs de tous les postes à responsabilité (notamment dans la sacrosainte armée) La presse locale déverse régulièrement des articles haineux s’attaquant non seulement aux Juifs mais également aux protestants et aux francs-maçons.
A Nantes, la municipalité innove en effectuant un recensement des Juifs résidant dans la ville, sous le prétexte de protéger ceux-ci. Quelques décennies plus tard, 42 ans exactement, les mêmes autorités (avec l’encouragement « moral » des Allemands) recenseront, une fois encore, les Juifs de la région. Ces listes dressées par les préfectures, pour chaque département, permettront aux nazis et à la police française d’arrêter ces personnes, mises hors la loi par des décrets infâmes.
Avec l’acquittement de Dreyfus en juillet 1899, on aurait pu croire que cette vague déferlante de xénophobie et d’antisémitisme allait épuiser sa virulence mais le siècle à venir va nous démontrer qu’il n’en était rien !
1939 : la Guerre !
La déclaration de la guerre ne devait surprendre personne, sauf les irréductibles optimistes qui pensaient pouvoir cantonner l’ogre nazi dans ses territoires nouvellement conquis : Autriche, Tchécoslovaquie et Pologne, mais voilà son appétit est sans limites et son « espace vital » couvre l’Europe entière !
Dès l’été 1939, des personnes prévoyantes arrivent en Bretagne. Ce sont souvent des Juifs d’origine polonaise, émigrés en France, qui connaissent trop bien les effets dévastateurs de l’antisémitisme. On les trouve, par exemple, à Lorient, Larmor-Plage ou Quiberon, et leur arrivée va augmenter considérablement la minuscule communauté juive locale d’alors qui ne dépasse pas une trentaine d’individus!
La guerre « éclair », la Blitzkrieg allemande, en mai-juin 1940, bouscule sur le front du nord les armées franco-britanniques et belges et se termine en désastre pour ces dernières : c’est l’exode pour des centaines de milliers de civils qui fuient les bombardements. Pas moins de 144 000 d’entre eux vont trouver refuge dans le Morbihan. Une masse énorme qui va poser quantités de problèmes aux autorités locales, au niveau du logement et du ravitaillement. Parmi eux, plusieurs familles juives originaires de Belgique dont nous avons retrouvé la trace.
Un jeune témoin parle
Samuel Rubin habitait avec ses parents à Charleroi et menait une vie normale jusqu’à la guerre. Le 10 mai 1940, devant l’invasion allemande de la Belgique, les Rubin décident de partir en direction de la France. Arrivés à Mons, ils marchent à pied jusque la frontière française qu’ils franchissent sans problèmes. A Cambrai, la situation est plutôt chaotique : les transports ferroviaires ne fonctionnent plus et ils doivent, une fois encore, prendre la route mais là, miracle ! Mais laissons plutôt parler Samuel, qui était alors âgé de 12 ans :
« Nous eûmes la chance de trouver un camion militaire français qui allait vers Paris.. durant ce voyage, je visualise clairement la traversée de Péronne en flammes, après les bombardements aériens. D’ailleurs nous avons été, durant tout notre exode, constamment bombardés et mitraillés aveuglément par la Luftwaffe ! Arrivés à Paris, nous avons pu contacter des cousins, les Schiff, fourreurs dans la rue du Faubourg St-Denis (ceux-ci purent plus tard rejoindre la zone libre et embarquer sur un bateau en partance pour Casablanca et de là sur un autre pour Cuba, où ils furent internés puis finalement autorisés à émigrer aux USA après la guerre). Vers la fin mai 40, les autorités françaises ordonnèrent notre évacuation et c’est comme cela que nous sommes arrivés, via Nantes et Vannes, à Pen Hoët Marho, près de Neulliac, dans le Morbihan, un hameau de quelques fermes où il n’y avait pas d’électricité, ni eau courante ! Il y existait une certaine animosité chez les habitants parce que nous étions des réfugiés de Belgique et que le roi Léopold III avait capitulé. Nous étions logés dans une petite maison appartenant à un fermier qui était sous les drapeaux. J’aidais les enfants du coin à emmener les vaches aux pâturages. Je me souviens des taons, très actifs ! De temps en temps, j’allais avec les fermiers en ville, à Pontivy, pour me changer les idées…
Mais comme vous le savez, les Allemands nous ont rattrapé ! Nous fûmes rapatriés en août vers la Belgique.. Je retournai à l’école à l’automne 40. Jusqu’en 41, en tant que Juifs, nous n’eûmes pas trop de restrictions, pas plus que tous les autres Belges qui subissaient les mêmes ennuis : surtout le manque de nourriture, tout étant rationné et bien entendu, il n’y avait plus de liberté ! En 42, les biens juifs furent confisqués puis au printemps, tous les Juifs, hommes, femmes et enfants, reçurent l’ordre de s’enregistrer dans leurs mairies respectives et tous les adultes eurent leurs papiers d’identité tamponnés avec le mot JUIF et JOOD (juif en flamand) en grosses lettres rouges et de plus, chacun fut obligé de porter l’étoile de David jaune, cousue sur la poitrine.
A l’automne 42, il fut décrété qu’aucun enfant juif ne pourrait fréquenter une école publique. A la même époque, les nazis publièrent une liste de Juifs à qui il était ordonné de se présenter à l’ancienne caserne de Malines, à mi-chemin entre Bruxelles et Anvers, pour un « éventuel rétablissement à l’Est ». Nous n’avions absolument aucun moyen de savoir ce que cela signifiait réellement : extermination organisée.
Comment imaginer qu’un pays si moderne, cultivé et civilisé, pourrait planifier et exécuter un acte de barbarisme tel que la « solution finale » ? Les noms de ma mère et de moi-même se trouvaient sur cette liste mais pas celui de mon père ! Ce dernier décida que nous devions tous nous cacher.
Notre premier refuge fut dans une maison située au Châtelet, appartenant à une dame qui avait été sœur chez les Ursulines. Elle ne nous demanda que de garder sa propriété en bon état. Nous produisions des légumes dans le petit jardin mais nous n ‘avions jamais assez de nourriture pour nous trois ! Nous n’osions jamais quitter la maison.. A l’été 43, après des contacts avec la Résistance, mes parents m’envoient dans un home d’enfants dépendant de la Jeunesse Ouvrière Catholique, à Ciney dans les Ardennes belges. Là se trouvaient d’autres enfants juifs : les deux frères Hollander, Fernand et Emmanuel, que je connaissais déjà puisque nous étions voisins à Charleroi et nous allions tous à l’Athénée Royal (Lycée). J’appris plus tard qu’il y en avait encore d’autres mais que je connaissais pas : Jacques M., Albert O. et deux frères venant de Hollande. Nous reçûmes tous un nouveau nom, un « nom de guerre » : pour moi, c’était Maurice..
Tous les jours, nous partions en rang, marchant au pas comme des soldats et gare à celui qui ratait la cadence ! On chantait et je me rappelle de l’une d’entre elles qui passait souvent sur les ondes de Radio Luxembourg « Une plume au chapeau. A la bouche, une chanson, un cœur joyeux et sincère et c’est tout qu’il nous faut à nous autres bons garçons pour faire le tour de la terre » mais dans nos bouches, c’était une toute autre version « Une plume au chapeau, à la bouche une chanson, un cœur joyeux et sincère et c’est tout ce qu’il nous faut à nous autres garçons pour casser la gueule à Hitler » !
Mon séjour à Ciney ne dura guère longtemps car un jour des résistants vinrent me prendre pour me ramener d’urgence à Châtelet. Ma mère étant partie pour trouver de la nourriture avait été reconnue par un nazi belge et arrêtée par la gendarmerie allemande. La Résistance craignant que celle-ci soit forcée par la Gestapo à révéler mon lieu de refuge, préféra me retirer du home.. (Madame Rywka Rubin, âgée de 45 ans, fut déportée à Auschwitz le 12 août 1943 où elle sera assassinée). Mon père et moi nous cachèrent dans un bâtiment abandonné, avec la complicité d’un couple non juif, les Beguin. Nous étions obligés de rester à l’intérieur pour des raisons de sécurité mais une fois ou deux par semaine, je partais en vélo pour tenter d’acheter quelque chose à manger dans le bourg d’à côté, Montigny-sur-Sambre. Je pouvais faire ça car, paraît-il, je n’avais pas l’air « juif », une chance !
Notre seule distraction d’alors était d’aller, chaque soir, écouter la radio chez les Beguin. C’était la BBC en français qui nous donnait des nouvelles. Souvent l’émission était parasitée par les Allemands mais qu’importait ! Je me souviens de la chanson, sur un air de « coucaracha », « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ». Et puis on retournait se terrer dans notre appartement. Mes seuls contacts réguliers étaient avec les jeunes filles qui habitaient en-dessous de nous : Diane et Isabelle G. Ce sont elles qui m’ont appris… à tricoter !
Naturellement nous avions en permanence l’angoisse d’une possible arrestation mais la chance était avec nous et nous pûmes enfin voir les troupes américaines arriver et nous libérer : c’était le 4 septembre 1944. La joie ? Oui, presque, ma mère n’allait jamais revenir…
Samuel Rubin
L’odyssée de la famille Lateza
À l’été 1940, une autre famille belge, les Lazega arrive dans le Morbihan, après bien des péripéties. Faye, alors âgée de 9 ans, nous raconte leur histoire qui débutant à Bruxelles, se terminera miraculeusement aux États-Unis. Installés à Locminé, dans une vieille maison, la petite famille de quatre personnes : le père, Jacob, tailleur de métier, la mère, Léa, et leurs deux filles, Faye et Eva, 9 et 6 ans respectivement, connaissent la vie monotone de tous les réfugiés de l’époque. Les Allemands leur ordonnent de retourner en Belgique mais Madame Lazega qui a l’idée de rejoindre sa sœur habitant aux États-Unis, fait semblant d’accepter et.. prend le train à Vannes avec sa famille, en direction du sud !
Quelque part dans le sud, leur train est mitraillé par des avions, allemands ou alliés, qui le sait ? La moitié arrière est détruite et il y a un grand nombre de blessés et de morts. Choquée par une explosion, la petite Faye ne pourra plus parler pendant plusieurs jours !
Les Lazega s’installeront quelque temps à Albi où les enfants pourront aller à l’école tandis que leur père travaille comme tailleur. Pendant ce temps, Madame Lazega multiplie les démarches pour obtenir des visas pour les Etas-Unis. Elle contacte un avocat qui se fera payer en nature : des costumes fabriqués par M. Lazega ! Les déplacements étant trop coûteux car il fallait se rendre au consulat américain à Marseille, la famille Lazega déménage dans cette dernière ville à la fin 1941.
Les fameux visas, synonymes de liberté, tardant à venir et la situation pour les Juifs devenant critique (les rafles s’intensifient) Madame Lazega décide de cacher ses deux filles. Faye sera placée dans un home d’enfants juifs à St-Raphaël tandis que Eva ira dans un couvent. Le 29 décembre 1941, la famille Lazega comptait un enfant de plus : Max, qui naît dans une institution catholique destinée aux filles-mères. M. Lazega, quand à lui, est interné, comme Juif étranger, au camp des Milles d’où il pourra sortir un jour grâce à une permission. Ayant obtenu de fausses pièces d’identité, celui-ci ira se cacher dans la région jusqu’à la Libération.
L’Agence Juive qui s’occupe des réfugiés conseille alors à Madame Lazega de partir pour la Suisse mais celle-ci a déjà un plan : gagner l’Espagne où elle pourrait plus facilement, du moins le croit-elle, obtenir des visas américains. La veille de Noël 42, le petit groupe se retrouve à Amélie les Bains, aux pieds des Pyrénées. Munie d’une carte très sommaire et ayant été conseillée par certaines personnes, Mme Lazega, accompagnée de ses trois enfants, part dans la montagne en direction de la frontière, à pied !
Périple épuisant pour une mère qui doit porter constamment un bébé de 11 mois. Heureusement, le temps est clément et la chance aidant (un contrebandier ramenant du sel d’Espagne, va les réconforter et les remettre sur le bon chemin) les Lazega arrivent enfin en territoire espagnol mais vont se faire arrêter presque immédiatement par des policiers. Le petit Max va ainsi « fêter » son premier anniversaire derrière des barreaux. Le goût de la liberté retrouvée est un peu amer !
Grâce à un brave curé espagnol, un représentant d’une organisation juive va pouvoir les faire sortir rapidement de leur prison et les diriger sur Barcelone où ils vont vivre désormais.
En dépit de son état de santé déplorable, Madame Lazega persiste à obtenir les fameux visas américains et au printemps 43, elle a la surprise et le bonheur d’apprendre que les Américains viennent de lui les accorder ! Hélas, cette immense joie va se transformer en consternation. Le gouvernement américain, pour des raisons politiques (l’arrivée d’immigrants déplaisaient à certains qui voyaient en eux des gens susceptibles de poser des problèmes d’intégration : la xénophobie et l’antisémitisme étaient bien présents) annule les visas accordés aux adultes et ne maintient que ceux des enfants ! Les parents ont le choix, douloureux, de laisser partir leurs enfants, seuls ou de les garder en Espagne.
Le cœur brisé, Léa Lazega va assister au départ de ses trois enfants pour le Portugal (ce pays accueillera des dizaines de milliers réfugiés juifs durant la guerre, d’où ils partiront vers des pays d’accueil, en Amérique du nord et du sud et même en Afrique. On ne peut oublier le rôle joué par certains diplomates portugais dans le sauvetage de ces persécutés : ainsi le consul de Bordeaux, Aristides de Sousa Mendes –1885-1954- qui délivra, illégalement, des milliers de visas pour le Portugal, sauvant autant de vies (d’après certaines sources, près de 30 000 !) Le gouvernement portugais (dictature de Salazar) le démit de ses fonctions et le mit d’office à la retraite. Cette action humanitaire exemplaire fut qualifiée par un historien de la Shoah, Yehuda Bauer, de « la plus grande action de sauvetage par un seul individu pendant l’Holocauste ». 48 ans plus tard, le 16 avril 1988, le gouvernement portugais réhabilitait, enfin, un de ses plus grands héros) d’où ils vont s’embarquer sur un navire portugais, le « Serpa Pinto » en compagnie de 34 autres réfugiés, âgés de 15 mois (le petit Max Lazega) à 16 ans. Arrivés aux Etats-Unis en avril 1943, les jeunes Lazega vont être pris en charge quelque temps par leur tante, Evelyn S. puis iront s’installer chez une nouvelle famille d’accueil, dans une ferme du Connecticut.
Ils s’adaptent bien vite à la vie américaine, si éloignée des tourmentes de l’Europe mais ressentent cruellement l’absence de leur mère. Les nouvelles venant d’Espagne sont rares car elles doivent transiter par plusieurs pays et diverses personnes ! Enfin, le grand jour arrive, nous en sommes en juin 1944. Madame Lazega débarque à Port Richmond et tombe dans les bras de sa sœur Evelyn. Le rêve américain qui l’avait soutenue durant toutes ces années de guerre, s’était concrétisé ! Mais il en a fallut de peu, une fois encore, pour que ce rêve tourne au cauchemar: en effet, le navire sur lequel elle s’était embarquée, le Serpa Pinto, avait été arraisonné en plein milieu de l’Atlantique par un sous-marin allemand. Les 385 passagers et l’équipage, sommés par les Allemands de quitter le navire, se sont entassés dans les canots de sauvetage et dérivent en pleine mer ! Le commandant du sous-marin attend les ordres de Berlin : couler ou non le Serpa Pinto ! Durant une dizaine d’heures, les naufragés vont connaître les affres de l’incertitude. Miracle ! Ordre est donné au capitaine portugais de poursuivre sa route vers les États-Unis et les passagers de remonter à bord. Malheureusement, lors des manœuvres de transbordement, trois personnes vont trouver la mort, le médecin du navire et le cuisinier ainsi qu’un bébé âgé de 16 mois, dont les parents sont des réfugiés juifs polonais.
Ainsi, la route de la liberté fut elle parsemée d’embûches mortelles, jusqu’au dernier instant.
Les enfants cachés (et les autres)
Les rafles de Juifs s’intensifient durant l’année 1942 et nombreuses seront les personnes de la région parisienne à quitter leur domicile pour tenter de trouver un lieu plus sûr. C’est le cas des F. qui débarquent à Le Faouët, Morbihan, en juillet 42. Leurs cinq enfants vont mener une vie quasi-normale, fréquentant l’école publique aux côtés des petits bretons et participant aux veillées et aux fêtes locales tandis que leur père ira travailler pour l’Organisation Todt, en charge de la construction de la base de sous-marins à Kéroman, près de Lorient. Un Juif polonais dans la gueule du loup nazi ! Comme nous le dit Marie, l’un des enfants d’alors « nous étions des enfants cachés qui ne se cachaient pas et qui ne réalisaient pas la gravité de la situation ! ». Cette famille survivra jusqu’à la Libération, grâce à la complicité des habitants et retournera dans la région parisienne à l’été 44.
Joseph, le petit résistant
D’autres n’auront pas cette chance. Le 15 octobre 42, M. et Mme K. de Vigneux sur Seine, sont arrêtés suite à une dénonciation puis déportés. Leur fils unique, Joseph, 13 ans, s’enfuit alors du domicile parental et, conseillé par un ami chrétien de ses parents, se rend à Auray où il est pris en charge par la famille Tanguy qui l’emmène dans leur ferme à St-Goustan. Comme sa présence soulève quelques problèmes, M. Tanguy contacte le curé qui lui propose de prendre le jeune Joseph au Collège St-Jean-Baptiste à Arradon, mais à une condition : qu’il se convertisse au catholicisme ! Ce qui fut fait rapidement, son nom devenant, Joseph Louis Marie Cléné (son nom d’origine « modifié »)
Le souvenir de son séjour dans cet établissement est resté gravé dans la mémoire de Joseph:
« Je pense que les responsables de la pension savaient que j’étais juif et je dois dire que je subissais des brimades de la part de mes camarades et de la direction. Madame Blaise, la lingère, était la seule personne avec qui j’avais de bons rapports. J’ai passé avec succès mon Brevet en 1943 puis vinrent les vacances d’été. Comme je ne voulais pas retourner chez les Tanguy, je suis resté à St-Jean-Baptiste. Un après-midi, étant à la plage, je rencontrai une jeune parisienne avec qui je fis la conversation et rien d’autre ! Mais voilà, j’avais été épié par un Frère de l’école, habillé en civil. Le soir même je fus convoqué par le directeur qui me dit « Demain, tu rentres à Paris ! ». Je lui répondis qu’il m’envoyait à la mort mais pour toute réponse, il me dit « Il fallait y penser avant ! ».
Joseph K.
Joseph retourne donc à son ancien domicile où il arrache les scellés et prend les photos de ses parents pour ensuite se rendre chez le Docteur Charolais, l’ami de ses parents. On lui propose alors de partir pour la zone sud, là où les risques sont moins élevés. Il restera quelques semaines chez les parents du docteur à Genouilly, en Saône et Loire et de là se rendra à Lyon. Le jeune fuyard doit maintenant se débrouiller tout seul. Il s’engage dans les Compagnons de France qui ont des chantiers un peu partout et c’est ainsi qu’un jour, occupé par la corvée d’épluchage des patates, il voit débarquer des miliciens, qui se révèleront être des résistants de l’Armée Secrète ! Leur chef demandant si certains d’entre eux veulent les suivre, Joseph se porte volontaire et le voici « jeune résistant-stagiaire ».
Sa mission est de porter des messages dans les groupes disséminés dans les forêts de la Saône et Loire. Cela exige une certaine endurance et du courage chez un garçon âgé de 15 ans seulement, mais laissons lui la parole :
« Un beau jour, je me trouvais dans un camion avec 5 ou 6 camarades et voici qu’un barrage de boches nous oblige à nous arrêter. Ils nous alignèrent devant un fossé, avec un soldat derrière chacun de nous tandis qu’ils nous demandaient nos ausweiss (laisser-passer). Ils fouillèrent le camion mais ne trouvant rien, nous laissèrent partir. En fait, nous l’avions échappé belle car nous transportions bien des armes mais celles-ci étaient dissimulées sous unfaux-plancher ».
Joseph K.
La Libération arrivée, Joseph devint moniteur d’un mouvement de jeunesse juive puis parti clandestinement pour la Palestine en 1946 où il rejoindra l’armée juive qui était en train de naître, la Hagannah, mais ceci est une autre page d’histoire..
Loulou et Annie
Mr et Mme X. juifs polonais se sont réfugié à St-Nicolas de Redon avec leurs deux jeunes enfants, Léonard et Annie. Le père, Moszek, tailleur est arrêté et déporté en avril 1944 par les Allemands, suite à la dénonciation faite par une habitante de la région. Son épouse s’enfuit avec ses deux enfants et va chercher refuge de ferme en ferme. La suite nous est révélée dans le journal tenu par une Sœur de l’Orphelinat de la Bousselaie (Rieux, Morbihan).
AVRIL 44 : M. Sébilleau de Redon nous amène un enfant juif qu’il faut soustraire aux Allemands. Il y va de sa vie. Pas de dossier, pas de carte d’alimentation. On le dira abandonné, enfant trouvé. Son nom : Louis Durand. Ces amis de Redon, industriels bien connus, nous arrivent donc en voiture à 11 heures et déclare « Une famille juive est recherchée par les Allemands. Le père, tailleur à St-Nicolas-de-Redon et réfugié, a été dénoncé par une voisine française et emmené dans un camp de concentration. Il reste la mère et deux enfants : une fille, Denise et un garçon, Léonard. La mère en détresse est venue demander secours chez nous ce matin parce que nous nous occupions des prisonniers. Placée dans une ferme, elle a du fuir, dénoncée par la même Française que son mari et chercher un refuge dans une autre ferme. Denise, 4 ans, est placée chez les Sœurs de St-Vincent de Paul. Reste le garçon qui est trop exposé chez moi. Voulez-vous le prendre ? la maison encourt un grand danger ! (M. Sébilleau est depuis 1940 fortement impliqué dans la résistance locale, aidant la fuite de prisonniers évadés et hébergeant chez lui un opérateur-radio qui transmet des messages vers l’Angleterre. Il est arrêté le 9 juin 44 par les Allemands. Blessé lors de son évacuation vers l’Allemagne, il est hospitalisé à Belfort d’où il parviendra à s’échapper pour ensuite gagner la Suisse)
La réponse est oui mais il faut qu’il change de nom. On ne peut refuser. Une heure plus tard, le garçon arrive à La Bousselaie sous le nom de Louis Durand. Si il y a recherche, Mère dira qu’il est arrivé errant, sans papier, sans carte d’alimentation. Évidemment, il n’est pas baptisé. Loulou ne va pas en promenade avec les autres. S’il voit arriver des personnes qu’il a connues à St-Nicolas, il se dissimule dans la chambre de Mère. Il a dix ans et se rend compte de la situation. Jamais il ne parlera des siens à ses camarades, ni aux Sœurs et le secret sera bien gardé..
FIN JUIN 44 : Un dimanche après les Vêpres, arrive l’espionne de St-Nicolas de Redon qui a dénoncé la famille juive. Elle vient pour voir Léonard, dit Loulou. Dès que l’enfant l’a reconnue, il court se cacher. Sa sœur était justement ce jour-là à La Bousselaie. Nous nions sa présence chez nous (il était dans le bois) mais nous jugeons prudent de transporter plus loin les deux enfants. Le soir, à 7 heures, Mère part en voiture à cheval avec madame Gaudin de Langle et emmène les petits à Fescal en Péaule. Ils y resteront jusqu’à la Libération. Ils ne reverront jamais leur père, passé au four crématoire. Ils seront baptisés tous les deux le 13 janvier 1945 à Redon et reprendront leurs noms véritables : X.
8 MAI 1945 : Libération ! Jour de joie. Cloches, clochettes, tous instruments sonores de la maison sont en branle. Illumination le soir…
Libération, jour de joie ? Pas pour tout le monde. Ces enfants cachés et sauvés, porteront toute leur vie un lourd fardeau. Près de soixante ans après ces terribles évènements, Annie nous avoue que le passé est encore présent, toujours aussi « brûlant » ! « Un jour, oui, peut être, j’en parlerai à mes proches, à ma fille… » Une page de la vie qui ne sera jamais tournée ?
Et tous les autres disparus ?
Lors de nos recherches, nous avons pu retrouvé la trace d’environ 300 personnes dont nous connaissons le nom, le lieu et la date de naissance, la profession et quelques détails sur leurs douloureux parcours, parfois presque rien… 50 d’entre elles ont été arrêtées puis déportées et, selon les informations disponibles (voir le Mémorial des Déportés Juifs de France de Me Klarsfeld) 4 seulement ont survécu ! Madame Rachel Benzon, d’origine turque, déportée le 10 février 44 à Auschwitz après avoir connu la prison de Vannes et le camp de Drancy, habite toujours le Morbihan. Une grande dame qui peut, encore aujourd’hui, en dépit de sa terrible expérience et de ses 88 ans, nous donner des leçons de courage et d’optimisme ! Mais comment oublier ces enfants : Sylviane, 3 ans, Roger, 6 ans, Liliane, 8 ans, Simone, 11 ans, Théodore, 16 ans… De jeunes vies anéanties par la folie nazie… Cendres et fumées sur la terre et dans l’air de Pologne…
Des noms qui résonnent dans nos coeurs et nos mémoires
Joseph Adato, Rachel Benzon, Kalmo Braun, Lea Cohen, Lazare Corn, Szlama, Helena, Simone, Sylviane, Roger Czyzewki, Salomon, Chaja, Théodore Elstein, Mozeg Epelbaum, Antony Fleur, Alice Goldgouber, Pinkus Grinspan, Majer Grosman, Jacob, Esther, Frida, Laura Hanen, Gaston Jacob, Jenny Kern, Bernard Kidmanowitz, Lise Kwass, Abram Markowicz, Henri Marx, Raymond Meyblum, Paul Paris, Nicolas Rosenczeig, Liliane et Lucienne Segal, Clara Selig, Max Wajsberg, Gaby Wechsler, Maurice Zaide, Wolff Zelikovitz, Markus Zwetschen,
tous déportés, soit du Morbihan, soit du Maine et Loire.
A cette liste, nous devons ajouter d’autres victimes de la barbarie nazie et de la collaboration de Vichy :
Graneck Gotajner et Abraham Radoszycki, Juifs polonais détenus au camp de l’île de Groix, Morbihan et assassinés par leurs gardiens en décembre 42 ; Jean Pessis, médecin-parachutiste SAS (Special Air Service des Forces Françaises Libres du Général de Gaulle), torturé et fusillé par les Allemands, en juillet 44 ainsi que d’autres personnes dont la vie s’achèvera ici tragiquement comme Fritz Weinmann, juif allemand, réfugié en France, qui se suicidera plutôt que de retomber aux mains des nazis (il aurait déjà été détenu dans un camp de concentration en Allemagne avant la guerre) et M. et Mme Zisman, qui, désirant quitter la France envahie, se sont embarqués sur le navire « La Tanche » le 19 juin 40. Celui-ci après avoir touché une mine, coule, entraînant la mort de plus de 190 personnes.
Et ceux qui ont osé donner…
… un abri, temporaire ou permanent, un morceau de pain ou une poignée de main fraternelle ou de faux papiers ou même « l’oubli » d’appliquer une loi injuste (ce fonctionnaire qui ferme les yeux au bon moment). Oui, ils sont nombreux ces Français qui ont agi selon leur conscience. Nous avons, hélas, trop souvent oublié leurs noms. Le granit des monuments aussi ! Mais dans nos mémoires ?
Gaston, Denise, Marie-Thérèse Sébilleau, Mme Gaudin de Langle, les Sœurs de St-Vincent de Paul, le Père François Le Cadre, abbé Joseph Lautram, Mélanie Le Gall, les familles Picot, Tanguy, Charolais, Lucas, Grozay et tant d’autres, anonymes, tel la personne qui un jour ramassa et posta la lettre qu’Antony Fleur, quittant le camp de Drancy, avait jetée dans la rue, dernier message à sa famille d’un futur déporté qui sera assassiné à Auschwitz en 1944 !
Des lueurs d’espoir dans les ténèbres…
Ne jamais les oublier !
LA MÉMOIRE EST UN COMBAT DE TOUS LES JOURS !
Cette page a été réalisée par l’Association Mémoire-Yzkor-Morbihan. Un ouvrage est en préparation pour 2002.
L’association souhaite vivement la participation des établissements scolaires du Morbihan à ce devoir de mémoire consistant à honorer le souvenir de tous les disparus et persécutés ainsi que celui des personnes ayant contribué à leur survie.
Mémoire-Yzkor-Morbihan se tient à la disposition des enseignants pour les aider à élaborer des projets : exposition sur les Juifs dans le Morbihan durant l’Occupation, conférence-débat, réalisation de documents pédagogiques, etc.
CONTACT :
Association Mémoire-Yzkor-Morbihan memoire56@free.fr