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Les artistes du camp des Milles

De nombreux élèves cherchent des oeuvres artistiques produites dans les camps de concentration, pour répondre au sujet du Concours National de la Résistance et de la Déportation 2002.
     Il y a eu un camp qui a réuni, en 1939-1940, de nombreux artistes, pour la plupart allemands et juifs : c’est le Camp des Milles.

Le camp des Milles

    C’est un camp de concentration français, ouvert en septembre 1939, dans une usine en faillite, une tuilerie. Il se trouve dans les Bouches-du-Rhône, entre Aix-en-Provence et Marseille, à la sortie du village des Milles. Il a été créé, au moment de la déclaration de guerre, pour y enfermer… des Allemands, pays avec lequel la République Française était en guerre.

Mais il se trouve que la plupart des Allemands qui se trouvaient en France, étaient des antinazis réfugiés là pour échapper à Hitler. Parmi eux, beaucoup de Juifs, beaucoup d’artistes aussi dans le midi de la France.
     La plupart d’entre eux seront relâchés en juin 1940. Mais, le camp continuera d’exister. Des Juifs seront rassemblés dans ce camp toujours gardé par des Français, mais cette fois, des collaborateurs qui obéissaient aux ordres du gouvernement de Vichy, et des trains de déportation en partiront en 1942. Des scènes terribles se produiront au moment de la déportation des enfants : une page de ce site raconte cet épisode.

Les artistes de la première période

     Dans la première période (septembre 1939-juin 1940), même si l’enfermement est douloureusement ressenti, les gardiens français du camp sont assez débonnaires et les artistes peuvent s’exprimer. Il en sera bien entendu tout autrement après 1940.
     Ces artistes sont violemment rejetés par les nazis qui ont organisé, en 1937, une exposition sur ce qu’ils appellent « l’art dégénéré ». Les toiles des artistes représentés dans cette exposition ont ensuite été brûlées publiquement.


 
En France, ces artistes sont rejetés comme « Allemands » et courent après des « papiers en règle ». Cela devient leur obsession :

Ce « bout de papier ridicule ou ce tampon sans importance qu’un scribouillard quelconque a apposé sur un document sans même y penser », écrit Lion Feuchtwanger, 

     Au camp des Milles, ils tentent d’obtenir une autorisation de quitter le camp en s’adressant aux Autorités pour manifester leur antinazisme, en demandant l’appui de personnalité du monde de la culture. D’autres réussissent à quitter le camp comme « prestataires », chargé d’un travail par l’Administration.

Les artistes internés

Lion FEUCHTWANGER.
Lion FEUCHTWANGER.

Lion FEUCHTWANGER. Romancier allemand d’origine juive (1884-1958). Lion Feuchtwanger était un pacifiste, un antimilitariste et un résistant antinazi convaincu. Son roman Le Juif Süss, paru en 1925, connut un grand succès, avant d’être adapté à l’écran en 1940 par les nazis,  pour en faire une oeuvre de propagande antisémite.
En janvier 1933, il était aux États-Unis lorsque les SA mirent à sac sa maison à Berlin, confisquèrent ses biens, le privèrent de sa nationalité, de son titre de docteur, et interdirent ses livres. Il s’exila alors en France, et trouva refuge à Sanary-sur-mer, dans le Var, où il fonda avec Brecht et Bredel le journal « Das Wort », la plus importante publication antifasciste des écrivains émigrés allemands. En 1936, il publia Le Faux Néron, roman historique où l’on comprend à demi-mot qu’il parle du nazisme.
Il fut interné au camp des Milles en mai 1940, mais assez rapidement libéré, il parvint à gagner les Etats-Unis où il s’installa définitivement. Le Diable en France, que Lion Feuchtwanger a écrit dès son arrivée aux États-Unis et qui parut pour la première fois en 1942, est le seul document autobiographique que l’auteur ait publié.

Photographie de Max Ernst, par Wols
Photographie de Max Ernst, par Wols

Max ERNST est un des grands peintres du XXème siècle. Il est né à Bruhl (Rhénanie) en 1891. Il suit avec attention les mouvement des peintres  expressionnistes et il fonde avec Baargeld et Arp le mouvement Dada à Cologne.
Il s’installe à Paris dès 1922 et devient l’un des membres du groupe surréaliste : il s’y distingue par ses collages et décalcomanies où le rêve est de loin plus fort que la réalité.
Interné à deux reprises au camp des Milles en 1939-1940, puis à Saint-Nicolas, il est sauvé par Varian Fry. Il émigre aux Etats-Unis en juillet 1941. Il revient en France en 1953. Naturalisé français en 1958, il meurt en 1976, après avoir passé toute la fin de sa vie dans le sud de la France.

Hans BELLMER est né à Katowice en Silésie en 1902.
Au début des années vingt, à Berlin, il s’intéresse au dadaïsme. Il arrive à vingt-deux ans à Paris comme dessinateur de publicité.
En 1933 qu’il commence son travail sur la poupée. Il partage son temps entre Berlin et Paris, avec des voyages en Italie et en Tunisie. En 1936-1937, il expose aux Etats-Unis, en France et au Japon. Bellmer quitte définitivement l’Allemagne en 1938 pour vivre à Paris, comme dessinateur et graveur.
Dans le midi de la France au cours de l’été 1939, il est interné au camp des Milles, puis envoyé à Forcalquier comme prestataire en compagnie de Ferdinand Springer. De 1941 à 1944, il vit à Castres, puis à Toulouse, revient en 1941 à Paris où il reste jusqu’à sa mort en 1975.

Robert LIEBKNECHT est le fils et le petit-fils de militants révolutionnaires allemands : Wilhelm Liebknecht (1826-1900), son grand-père, ami de Marx, fut le fondateur du Parti social-démocrate allemand ; Karl Liebknecht (1871-1919), son père, fut assassiné pendant la révolution communiste de Berlin, qu’il dirigeait avec Rosa Luxembourg, en janvier 1919.
Robert, lui, est né en 1903. Après la mort de son père, il fait des études aux Beaux-Arts, à Dresde, puis s’installe à Berlin. Il y dessine des scènes de la vie, des portraits de chômeurs, des paysages de banlieue ouvrière.
En 1933, à l’arrivée des nazis au pouvoir, il quitte définitivement l’Allemagne, vit surtout à Paris où il vit de traductions et continue à peindre.
Il est arrêté en 1939 comme ressortissant allemand à Saint-Tropez où il était de passage, puis interné au camp des Milles. Libéré en novembre 1939, il est interné à nouveau au printemps 1940. Après la Débâcle, il se cache dans le Gard. Il retourne à Paris à la Libération où il poursuit son activité artistique jusqu’à sa mort en 1994.

Ferdinand SPRINGER est né à Berlin en 1907. A vingt ans, il est à Milan élève-peintre chez Carlo Carra, puis dès 1928 à Paris où il apprend la gravure auprès de Stanley Hayter. En 1937, il expose aux Etats-Unis.
Il s’installe en 1938, dans le midi de la France, à Grasse où il vivait toujours dans les dernières années du XXe siècle.
Il est interné à l’automne 1939 à Antibes, puis aux Milles et à Porcalquier comme « prestataire ». Il rentre à Grasse après la débâcle.
En 1942, Ferdinand Springer réussit à se réfugier en Suisse. C’est au milieu des années quarante qu’il découvre l’abstraction.
Il revient en France dès 1945 et travaille depuis à Paris et Grasse.

Alfred Otto Wolfgang Schuize dit WOLS est né à Berlin en 1913. Il s’intéresse très tôt à la photographie, et suit une formation artistique au Bauhaus.
En 1932, il rencontre Max Ernst, Tristan Tzara, Miro, Calder, au cours d’un premier séjour à Paris. Il fréquente le milieu surréaliste. Tout en commençant à peindre des aquarelles, il devient photographe de métier. Il a, par exemple, réalisé un très beau portrait photographique de Max Ernst. Il connaît son premier succès avec la commande pour le pavillon de la mode à l’Exposition universelle en 1937.
En septembre 1939, il est interné au camp des Milles, comme ressortissant allemand. Son mariage lui permettra d’être libéré en octobre 1940. Il se réfugie ensuite à Dieulefit.
Alcoolique, il consent à une désintoxication en 1951 et meurt la même année, à Champigny-sur-Marne, vraisemblablement d’une intoxication alimentaire.

Quelques oeuvres

Hans Bellmer : l’obsession du mur de brique

     Les oeuvres de Hans Bellmer qui furent produites dans l’année 1940, celle de son incarcération au Camp des Milles, ont souvent la brique comme élément de base. Ainsi, dans cette tête de femme :

     Il faut se souvenir que le camp des Milles était logé dans une ancienne tuilerie-briqueterie.

Les apatrides de Max Ernst

     Le grand artiste surréaliste, Max Ernst, dessine beaucoup au camp des Milles.
Il travaille en compagnie de Hans Bellmer. Certains dessins sont même
faits à deux.
     Max Ernst dessine ces curieuses créatures, faites de limes et intitule le dessin : Les Apatrides. Rappelons que beaucoup de ces artistes juifs allemands ont perdu leur nationalité allemande, sans pour autant avoir obtenu une autre nationalité : ils sont « apatrides » (sans patrie). On peut voir aussi un clin d’oeil dans le fait de dessiner
des limes, outil fantasmatique du prisonnier.

Robert Liebknecht observe les internés
du camp

     Le peintre
prend toute une série de croquis du camp (voir ci-dessus, le bâtiment principal du camp). Il avait beaucoup dessiné, à Berlin, des attitudes d’ouvriers et de chômeurs, désespérés par la crise économique. Dans le camp, il dessine, sur du mauvais papier
à lettre quadrillé, des attitudes de prisonniers :

Robert Liebknecht, Personnage au camp, 1939.
Robert Liebknecht, Personnage au camp, 1939.

Ferdinand Springer : un monde écorché

     Ferdinand Springer
nous montre sa vision du monde et de l’art. Si les formes sont classiques et belles, elles se décomposent aussi sous nos yeux. Seul le reflet est encore avenant, mais il semble s’estomper. Le fond est un mur de pierre particulièrement solide, comme l’étaient les caves de la tuilerie des Milles où Springer exerçait la fonction d’infirmier.

Ferdinand Springer, Ecorché I, 1939-1940.
Ferdinand Springer, Ecorché I, 1939-1940.

L’onirisme de Wols

     Les nombreux dessins de Wols fourmillent de personnages bizarres dans un environnement qui se dérègle. Il en ressort une inquiétude foisonnante, comme celle d’un mauvais cauchemar. L’artiste vit très difficilement son enfermement.

     L’un de ses dessins évoquent une plaie des camps : les parasites :


JJe recommande le catalogue d’une exposition réalisée à Aix-en-Provence en 1997 : Des peintres au camp des Milles, septembre 1939 – été 1941, aux éditions Actes Sud, 1997.
Voir aussi les sites :
Un site documenté sur le camp : http://guyboutin.free.fr/lesmilles/campdesmilles/camp.htm