On me demande d’Angleterre : « J’aimerais savoir si vous avez des informations sur la participation au génocide de la Milice française. »
Il y a aussi la question d’Estelle Reynaud, lycéenne au lycée Anna de Noailles à Evian-les-Bains (Haute-Savoie) : « J’aimerais savoir le rôle de la milice durant la guerre, comment ils fonctionnaient et comment « les miliciens » étaient choisis. »
Sommaire
La Milice a été créée en janvier 1943. Un peu plus tôt, Laval, le premier ministre de Pétain, avait rencontré Hitler qui lui avait demandé un renforcement de la lutte « contre le terrorisme », c’est-à-dire contre la Résistance. La loi du 30 janvier 1943 reconnaît la Milice comme une organisation d’utilité publique.
D’où viennent ses hommes ? Ils sortent en grande partie du SOL (Service d’Ordre Légionnaire) créé un an plus tôt, en janvier 1942, lui-même issu de la Légion française des Combattants, regroupant au départ les associations d’anciens combattant autour de la personne de Pétain, « le vainqueur de Verdun ».
Un durcissement progressif
En novembre 1941, La « Légion Française des Combattants » s’est élargie à de jeunes militants d’extrême-droite : elle est devenue la « Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale ». Certains veulent alors durcir encore le mouvement. Le légionnaire François Mitterrand, par exemple, regrette, en avril 1942, le « manque de fanatisme » des partisans de la Révolution nationale. Il reproche à la Légion d’avoir « reçu des masses dont le seul lien était le hasard : le fait d’avoir combattu ne crée pas une solidarité. » Et le futur président de la République ajoute : « Il faudrait qu’en France on puisse organiser des milices. » Il n’est pas le seul de cet avis et le S.O.L. (Service d’Ordre Légionnaire) naît en 1942. Plus tard, en janvier 1943, le S.O.L. se transforme en Milice.
Les Miliciens
Il y aura environ 30.000 miliciens qui se livreront à une lutte sans merci contre la Résistance, qui se rendront célèbres par des exécutions sommaires, des tortures et des assassinats (Maurice Sarraut, Victor Basch et sa femme), qui traqueront les Juifs.
La Milice était dirigée par Joseph Darnand.
« Contre la lèpre juive, pour la pureté française»
- Contre l’égoïsme bourgeois, Pour la solidarité française,
- Contre le scepticisme. Pour la foi,
- Contre l’apathie. Pour l’enthousiasme,
- Contre la routine. Pour l’esprit d’initiative,
- Contre l’influence. Pour le mérite,
- Contre l’individualisme, Pour la société,
- Contre l’ancienneté. Pour la valeur,
- Contre l’anarchie. Pour la discipline,
- Contre l’égalitarisme. Pour la hiérarchie,
- Contre la vaine liberté. Pour les vraies libertés,
- Contre la démagogie. Pour la vérité,
- Contre la démocratie. Pour l’autorité,
- Contre le trust. Pour le métier,
- Contre le capitalisme international, Pour le corporatisme français,
- Contre la tutelle de l’argent, Pour la primauté du travail,
- Contre la condition prolétarienne, Pour la justice sociale,
- Contre la dissidence gaulliste, Pour l’unité française,
- Contre le bolchevisme. Pour le nationalisme,
- Contre la lèpre juive. Pour la pureté française,
- Contre la franc-maçonnerie païenne, Pour la civilisation chrétienne,
- Contre l’oubli des crimes, Pour le châtiment des coupables.
Paul Touvier,
chef de la Milice de Lyon, organise une rafle de Juifs pour venger la mort d’un collabo
A l’occasion du procès de Paul Touvier, en mars 1944, la journaliste Annette Lévy-Willard retrace, dans le journal Libération, l’affaire de l’exécution de 7 Juifs à Rillieux-la-Pape, en juin 1944 :
Les Alliés ont débarqué depuis trois semaines sur les côtes normandes; ce 28 juin 1944, le vent a tourné pour Vichy. Certains collabos commencent à prendre des contacts avec la résistance. Il reste des irréductibles, les bandes de miliciens et, surtout, l’homme de la propagande de Vichy, celui dont la voix tonne chaque jour à la radio contre les Anglais, les francs-maçons, les juifs: Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’Information de Vichy.
En ce matin du 28 juin, à l’aube, des «miliciens» se présentent au domicile de Philippe Henriot qui leur ouvre sa porte. Ils l’abattent aussitôt puis, dit-on, font le salut militaire devant son corps. Ce commando de résistants vient de réussir une action incroyable, de celles qui font l’histoire. Vichy n’a plus de porte-parole. La nouvelle sera annoncée officiellement par Laval à 12 h 40 à la radio. Enragés, les miliciens vont chercher des otages à exécuter pour se venger. A Macon ils abatteront sept personnes chez elles.
Le témoignage
Dans sa cellule, impasse Catelin, local de la Milice à Lyon, Maurice Abelard, 24 ans, arrêté quelques jours plus tôt pour avoir fait partie d’un réseau radio de Londres, et ses compagnons de prison, entendent les cris au dehors, apprennent «avant la soupe» que Philippe Henriot à été descendu, et imaginent les conséquences pour eux quand les miliciens viennent hurler: « Salopards, vous allez tous y passer!»
Au matin du 28 juin, la cellule ne contient encore qu’une demi-douzaine de prisonniers. Il y a déja Siegfried Prock, 42ans, réfugié d’Autriche qui a été raflé par deux miliciens à l’hôtel du Helder où il vivait sous une fausse identité: la Milice avait trouvé son nom dans le fichier des juifs obligeamment fourni par l’administration française aux bandes années de miliciens. Il y a aussi deux maquisards, dont un surnommé Mimile arrêté quelques jours plus tôt. « Il avait été matraqué abominablement mais il n’a rien dit », se souvient Maurice Abelard, interrogé par le juge Getti en 1990. Dans la même cellule de six mètres carrés, Louis Goudard, 24 ans, résistant, arrêté le 21 juin. Et un inconnu, un jeune homme juif «à l’accent parisien », se souviennent Abelard et Goudard « qui chantait de l’opéra dans la cellule. »
A l’heure où la nouvelle de la mort de Henriot est annoncée à la radio, Paul Touvier arrive à Lyon, venant de Vichy. « Un homme que je connais me fait signe d’arrêter: il se penche et me dit : « On a tué Philippe Henriot. De Bourmont vous cherche partout » », explique Touvier. Il se rend au Progrès, siège régional de la Milice, où son chef, De Bourmont, lui aurait annoncé que le SS Knab avait décidé de
faire exécuter «une centaine d’israélites». Selon Touvier, De Bourmont aurait négocié pour que cela reste « une affaire exclusivement française» et obtenu que le nombre des victimes soit «limité à trente». Dans ses multiples déclarations à ce sujet, Touvier ne précise pas ce qu’il fait tout au long de cet après-midi. Il se contente de répéter: «Mon rôle a consisté à choisir sept prisonniers.»
Touvier avait, en ce début d’après-midi, dans sa prison de la Milice, assez de résistants emprisonnés pour les exécuter en représailles. Mais, visiblement, ce sont des juifs qu’il veut tuer puisqu’il envoie ses miliciens à la chasse aux juifs dans Lyon. La cellule va se remplir d’otages tout au long de la journée. «Dans la journée du 28 juin la porte s’ouvrait et se refermait sans cesse, se souvient Abelard. C’est alors que Glaeser est arrivé. Cette personne m’a fait grande impression, il était très distingué. Je lui ai dit que j’étais résistant et je lui ai demandé à quel titre il avait été arrêté. Il m’a répondu: « Je suis juif. J’ai alors poussé une exclamation selon laquelle j’ai laissé penser qu’il était perdu. Il a alors ajouté: « Oui, je sais mais nous devons rester dignes et ne pas nous laisser aller ». »
Léon Glaeser ans.a été raflé par les miliciens à la gare. Avocat et conseiller juridique, il est connu à Lyon pour diriger le comité de défense juive, organisation de soutien et d’entraide aux victimes du nazisme, de résistance non armée. Des activités qui le font voyager, raison pour laquelle il se trouve à la gare en ce jour du 28 juin 1944. Quinze jours plus tard, des miliciens iront chez sa femme et voleront l’argent du comité de défense juive.
Jusqu’au coucher du soleil les miliciens de Touvier poursuivent leur chasse, allant rafler des juifs déjà repérés dans Lyon. Certains, comme Emile Zeizig, ne se cachaient pas, se sentant, avant tout, français. Né en 1887 à Saint-Foy-lès-Lyon, non pratiquant, Emile Zeizig, avait cependant, contre l’avis de ses amis, été s’enregistrer au ficher des juifs.
Rafles nocturnes à Lyon
A l’heure du dîner, ce 28 juin, quatre miliciens débarquent dans le magasin de Nouveautés place Xavier Ricard à Sainte Foy-lès Lyon. Ils commencent par piquer la caisse. Ils montent ensuite au premier étage, tabassent Emile Zeizig devant sa femme, fouillent l’appartement, volent argent, bijoux, papiers, et embarquent Zeizig. Au cours de l’enquête de 1945, Lucienne Zeizig reconnaîtra formellement celui qui a arrêté son mari: Jean Reynaudon, chef intérimaire du 2e service, l’adjoint de Touvier. Reynaudon qui reviendra le
29 juin pour piller, avec d’autres miliciens, toutes les marchandises du magasin du supplicié.
A l’heure du dîner toujours, un autre groupe de miliciens se rend dans un restaurant de Lyon, le Pied de cochon. Edouard Lew, 34 ans, représentant d’une maison de mode, est à table avec son ami Claude Ben Zimra, 24 ans, décorateur, réfugié comme lui à Lyon. Ils se retrouvent chaque soir à ce restaurant. En entrant, Lew a remarqué deux hommes dans une traction avant. A peine est-il assis que les deux hommes font irruption dans le restaurant, pistolet au poing, hurlant «Contrôle d’identité!» Lew reconnaît avec stupéfaction l’un des deux hommes: il s’agit de l’un de ses clients, Lucien Brogi. Les miliciens emmènent Lew, Ben Zimra et un troisième, les font entrer à l’arrière de la Citroën. «La personne arrêtée avec nous complètement affolée me dit: « J’ignore qui vous êtes mais moi je suis juif polonais, j’ai une femme et des enfants et je sais qu’à la suite de l’assassinat de Philippe Henriot, la Milice recherche des juifs comme otages pour les fusiller »», se souvient Edouard Lew qui lui répond: «Tranquillisez-vous, rien ne nous arrivera, on ne fusille pas les gens aussi vite…»
Lew a de vrais papiers mais sans l’estampille «juif», il affirme aux miliciens qu’il n’est pas juif. Son ami n’a pas encore de faux papiers. «Brogi se retourne vers Claude et lui dit: « Tu es juif ». Claude hausse les épaules sans dire un mot. Brogi lui rétorque : « Tu sais, que nous avons un moyen bien simple pour savoir si tu nous dit la vérité ». Claude ne répond pas.» Lew est finalement relâché. Les miliciens gardent Ben Zimra et le troisième juif.
Pendant ce temps la Milice a raflé encore un juif Maurice Schiusselman, 64 ans, maroquinier, né à Varsovie. C’est le milicien Edouard Arnaud, commissaire de police en retraite, chef des allocations familiales, qui va l’arrêter dans une épicerie avec deux autres «inspecteurs». Arnaud volera l’argent que Schlusselman a sur lui, puis le remet au «chef André». Un septième juif, Louis Krzyzkowski, 46 ans, né à Poznan (Pologne), fabricant de jouets à Paris, arrive également dans la cellule.
Il est dix heures du soir, il y a maintenant onze prisonniers dans la minuscule cellule de la Milice. On vient chercher Maurice Abelard qui est enfermé dans la grande salle commune. Au lever du jour, Henri Gonet, celui qui menait les interrogatoires pour Touvier, ouvre la porte de la cellule avec une liste à la main, témoigne Louis Goudard: «Gonet appelle d’abord trois jeunes non juifs qu’il envoie dans la grande pièce où se trouve Abelard. Ensuite Gonet a appelé nommément les sept juifs successivement. En dernier lieu mon nom a été appelé. J’ai demandé ironiquement si je devais prendre mes affaires. Gonet m’a répondu que ce n’était pas la peine.» Les huit hommes -Prock, Glaeser, Ben Zimra, Zeizig, Schiusselman, Krzyzkowski, l’inconnu et Goudard- sont plaqués au mur dans le couloir. Passe Touvier. «Il a appelé Gonet, ils ont discuté tous les deux à voix basse.» Louis Goudard, seul non juif du groupe, est remis dans la cellule. Réfutant les allégations de Touvier, Goudard déclarera: «Aucun de ces sept hommes n’était résistant, je peux l’affirmer car j’étais responsable du service de renseignement FTP à l’échelon régional. C’était un acte de racisme.»
Fusillade à l’aube
Edmond Fayolle, qui niera comme les autres miliciens sa participation au crime, reconnaîtra cependant avoir assisté, en compagnie d’Arnaud, au départ des sept victimes avec les miliciens: «II était trois heures du matin quand j’ai vu descendre des francs-gardes armés de mitraillettes accompagnant les détenus. (…) Auparavant j’avais vu et entendu le chef Touvier qui donnait des ordres. Il avait demandé si les cartons étaient prêts… Je suppose que Touvier a participé à l’exécution, ayant ordonné les préparatifs. »
La camionnette part, précédée par la traction de Touvier. 3 h 30 du matin. Un autre juif, Max Rozencwaig est amené à la Milice. Touvier dira alors: «II a de la chance, s’il était arrivé un quart d’heure plus tôt il partait avec les autres pour être fusillé. »
A 5 h du matin. Une voisine du cimetière de Rillieux-la-Pape entend une fusillade. Le commissaire Faury appelé aussitôt sur les lieux, ramasse un insigne de la Milice. Il écrira, ce matin-là, 29 juin 1944, dans son rapport: « Au bord du chemin de terre qui longe le mur ouest du cimetière de Rillieux sont allongés sur le dos, les jambes en direction du mur, sept cadavres d’hommes présentant tous le profil juif… Tous portent de multiples traces de balles, tant à la tête que sur la poitrine. Auprès de chacun d’eux se trouve un rectangle de carton blanc sur lequel est inscrit en gros caractères un nom suivi d’une initiale.» Tous sauf un, l’inconnu qui chantait la Tosca avant d’être
assassiné.
Voir aussi :
- La vie d’un milicien criminel, Paul Touvier
- Le procès de Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon.
Bibliographie :
- Pierre Giolitto, Histoire de la Milice, Perrin, 1997-2002
- Pierre. Péan, Une jeunesse française, François Mitterrand 1934-1947, Fayard, 1994