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Céline, un complice des criminels nazis ?

     Dans la liste des criminels nazis et de leurs complices, j’ai placé Louis-Ferdinand Céline.
Certains admirateurs de l’écrivain ne sont pas d’accord.

     Ainsi, Laurent P. qui explique :
« […] Quant à ses pamphlets pusique c’est la cause de tous ses maux, il ne fait que dénoncer les lobbies juif et politiques…. le frique [sic] et le reste… 
Je vous demande de reconsidérer votre site qui porte atteinte à sa mémoire de grand écrivain.
Les textes de Céline figurent ont fait partie des programmes d’agrégation de lettres modernes ou classiques… Apparemment l’histoire se répète , et nous gardons en mémoire l’affaire Dreyffus….! Ses pamphlets dénoncent des vérités qui ont dérangées l’opinion de son époque mais Céline n’est pas un criminel ou complice du régime nazi pour autant ! »

     Je suis désolé d’être en complet désaccord avec ce monsieur.

1) Un grand écrivain

Céline est très certainement un grand écrivain. Il a révolutionné le style. Certains tiennent « Voyage au bout de la nuit » comme un des plus grands romans du XXème siècle.

2) Les romans antisémites

     Être un écrivain ne dégage pas de ses obligations vis-à-vis du reste de l’humanité. Céline, en toute connaissance de cause, a diffusé une haine raciste contre les Juifs. Il l’a fait avant la guerre, dans un roman odieux d’un bout à l’autre : « Bagatelle pour un massacre ».
     Il le présente lui-même, avec jubilation, comme une œuvre antisémite :

Bagatelle pour un massacre — Céline, un complice des criminels nazis ?
Page de couverture de Bagatelle pour un massacre

Avant même la parution de l’ouvrage, l’écrivain évoque dans sa correspondance le thème de Bagatelles qu’il considère central, à savoir les juifs et son antisémitisme :
– « Je vais sortir un livre : Bagatelles pour un massacre un livre sur les juifs » (lettre à E. Pollet)
– « Je viens de publier un livre abominablement antisémite, je vous l’envoie. Je suis l’ennemi n°1 des juifs » (lettre au Docteur W. Strauss)
– « Vous allez recevoir par la poste mon nouveau livre. Bagatelles pour un massacre, très fortement antijuif. » (lettre à John Marks, son éditeur américain)

L’ouvrage est très diffusé : plus de 20.000 exemplaires pour le premier tirage, très vite épuisé, et autour de 75.000 vers la fin de la guerre

Examinons le « style » de cet écrivain :

 « Les 15 millions de juifs enculeront les 500 millions d’Aryens. »
Bagatelles pour un massacre, 1937, p.127.
agatelles pour un massacre
 « Personnellement je trouve Hitler, Franco, Mussolini fabuleusement débonnaires, admirablement magnanimes, infiniment trop à mon sens, pacifistes bêlants pour tout dire, à 250 prix Nobel, hors concours, par acclamations ! Ça durera peut-être pas toujours.
Les glaves ça retombe quelquefois. »
 L’École des cadavres, 1938,
p.62
L’École des cadavres
  » Racisme d’abord ! Racisme avant tout !
[…] Désinfection ! Nettoyage ! Une seule race en France : l’Aryenne.
[…] Trois groupes aryens ! Les Alpins (les plus nombreux), les Nordiques, les Méditerranéens : Aryens tous ! Et c’est marre, et
c’est tout. »
L’École des cadavres, 1938
L’École des cadavres
  » Nous nous débarrasserons des Juifs, ou bien nous crèverons des juifs, par guerres, hybridations burlesques, négrifications mortelles. Le problème racial domine, efface et oblitère tous les autres. »
L’École des cadavres, 1938
L’École des cadavres
  » Distinction entre les bons Juifs et le mauvais Juifs ? Ça rime à rien. Les Juifs possibles, patriotes, et les Juifs impossibles, pas patriotes ? Rigolade ! Séparer l’ivraie du bon grain. […] Le chirurgien fait-il la distinction entre les bons et les mauvais microbes ? »
L’École des cadavres, 1938
L’École des cadavres

     On voit là la préparation d’un grand nettoyage raciste qui s’appelle la Shoah ! Oui, Céline, idéologiquement, y a contribué.

     Pendant l’occupation, Céline se préoccupe de la vente de ses romans, à l’occasion de la grande exposition antisémite « Le Juif et la France ». Il leur assigne donc bien une fonction de propagande antisémite.

 « Je ne suis pas un auteur que sa « vente » tracasse beaucoup […]. Mais en visitant votre exposition j’ai été tout de même frappé et un peu peiné de voir qu’à la librairie ni Bagatelles ni L’École ne figurent alors qu’on y pavoise une nuée de petits salsifis, avortons forcés de la 14e heure, cheveux sur la soupe. Je ne me plains pas – je ne me plains jamais pour raisons matérielles – mais je constate là encore hélas – la carence effroyable (en ce lieu si sensible) d’intelligence et de solidarité aryenne – démonstration jusqu’à l’absurde pour ainsi dire »
Lettre de Céline au capitaine Sézille

(agitateur antisémite, secrétaire général
de l’Institut d’étude des questions juives,
organisateur de l’exposition « Le Juif et la France »
),
21 octobre 1941
Lettre de Céline au capitaine Sézille

3) Les pamphlets et les articles de journaux.

Selon mon interlocuteur, « ses colères légitimes et fondées au travers de ses pamphlets, et à condition de savoir les comprendre et de ne pas les interpréter de travers comme c’est encore le cas aujourd’hui, sont pour ma part un hymne à
la vie et non l’invitation à une type haine raciale
[sic]. « 

     Examinons donc ces propos « qui ne doivent pas être confondus avec la haine raciale« . dans « Les Beaux Draps« , Céline insiste sur la nécessité du passage à
l’acte, en de brefs appels :

« Vinaigre ! Luxez le juif au poteau ! Y a plus une seconde à perdre »

« Bouffer du juif, ça suffit pas, je le dis bien, ça tourne en rond, en rigolade, une façon de battre du tambour si on saisit pas leurs ficelles, qu’on les étrangle pas avec. Voilà le travail, voilà l’homme. Tout le reste c’est du rabâchis, ça vous écœure tous les journaux dits farouchement antisémites »

« Volatiliser sa juiverie serait l’affaire d’une semaine pour une nation bien décidée. »
Les Beaux Draps, 1941

     Ce que Céline reproche au régime de Vichy, c’est sa mollesse. Tous ses textes poussent à l’élimination rapide et expéditive des Juifs. Il sera finalement entendu.

4) Céline collaborateur, exprimant sa haine antisémite auprès des nazis

     Le 7 décembre 1941, Ernst Jünger, alors capitaine de l’état-major de l’armée allemande à Paris, rencontre Céline à l’Institut allemand. Il note dans son journal :

« II [Céline] dit combien il est surpris, stupéfait, que nous, soldats, nous ne fusillions pas, ne pendions pas, n’exterminions pas les Juifs – il est stupéfait que quelqu’un disposant d’une baïonnette n’en fasse pas un usage illimité.
« Si les Bolcheviks étaient à Paris, ils vous feraient voir comment on s’y prend ; ils vous montreraient comment on épure la population, quartier par quartier, maison par maison. Si je portais la baïonnette, je saurais ce que j’ai à faire » ».

    Céline envoie régulièrement ses textes antisémites aux journaux de la collaboration. Il participe à la propagande antisémite, à l’heure même où des rafles déciment la population juive.

celine1
4 septembre 1941,
dans « Notre combat pour la nouvelle France socialiste« ,
organe collaborateur
celine2
9 juillet 1943, dans le journal ultra collaborateur « Je Suis Partout« 

5)  Céline aujourd’hui

     L’utilisation actuelle de Céline  continue d’alimenter la haine raciste et même le négationnisme, comme le montre la diffusion sur les sites internet racistes et négationnistes, comme en témoigne, par exemple, leur publication intégrale
sur le très important portail néonazi d’Ahmed Rami (Stockholm) qui diffuse aussi, entre autres monstruosités, une version électronique des Protocoles des sages de Sion et deux articles du célèbre négationniste Robert Faurisson
sur Céline (« Notes céliniennes » et « Céline devant le mensonge du siècle »).
Les libraires le savent bien : l’extrême droite française a, depuis longtemps, une véritable adoration narcissique pour Céline.
     Dans les propos de Laurent P., derrière la dénonciation, qui lui semble honorable, des « lobbies juifs » associé au « fric », on sent que le dérapage vers l’antisémitisme n’est pas loin…


Bibliographie :

  • L’antisémitisme de plume, 1940-1944, étude et documents, sous la dir. de Pierre-André Taguieff, Berg International Éditeurs, 1999
  • Jean-Pierre Martin, Contre Céline, ou d’une gêne persistante à l’égard de la fascination exercée par Louis Destouches sur papier bible, José Corti, 1997.